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IV

Le contre-amiral Halgan avait quitté l’Archipel avant qu’on y apprît la catastrophe de Chio. Rappelé en France par ses devoirs parlementaires, — il était député, — il partit de Smyrne le 5 avril 1822, après avoir remis le commandement de la station au capitaine de la Jeanne d’Arc, M. le vicomte de La Mellerie ; il arriva en rade de Toulon le 1er  mai, y purgea sa quarantaine, et fut reçu le 31 mai à Paris par le ministre de la marine, qui était alors M. le marquis de Clermont-Tonnerre. les derniers jours passés par l’amiral à Smyrne y avaient été signalés par de nouveaux services rendus à la cause de l’humanité. Constantinople était calme, mais à Smyrne « les tueries partielles » avaient recommencé. Le 1er  octobre 1821, l’amiral avait reçu dans son propre canot trois malheureux Grecs que l’on poursuivait ; le 4 novembre, il avait fait passer sur l’Active 192 réfugiés qui assiégeaient la maison du consul, et les avait fait transporter dans une des îles de l’Archipel. C’était aux soldats candiotes que l’on attribuait les désordres : ces misérables avaient attaqué de nuit la maison du pacha et l’avaient contraint à capituler ; ils demandaient à être ramenés à Candie. L’amiral consentit à les faire escorter, espérant qu’il pourrait ainsi rendre quelque tranquillité à Smyrne ; mais les Candiotes partis, les meurtres continuèrent. L’attaque tentée par les Samiens sur Chio le 23 mars 1822 avait réveillé toute l’irritation de la milice. Les Grecs ne pouvaient plus sortir de leurs maisons. Des femmes, des enfans, tombaient à chaque instant sous les coups de la populace. La terreur de 93 n’était rien auprès de ce régime de barbarie. Plus de 2,000 familles durent alors la vie à l’intervention du consul-général de France, à la vigoureuse attitude de l’amiral. Souvent au milieu du calme le plus profond on entendait des cris, des pas précipités ; c’était une femme en pleurs qui fuyait devant une patrouille, ou qui allait s’abattre toute sanglante, atteinte par la balle d’un pistolet. L’amiral Jacquinot était enseigne de vaisseau sur la gabare la Lionne ; il me racontait, il y a quelques jours à peine, ces scènes déplorables dont un triste hasard l’avait rendu témoin. Nos navires de guerre n’avaient jusqu’alors fait de leur droit d’asile qu’un usage en quelque sorte timide et clandestin ; ils l’exercèrent désormais au grand jour sans se soucier des Turcs et sans se mettre en peine des conventions diplomatiques du Bosphore. Le roi sage et prudent que les hommes d’état appelaient à cette heure le Nestor de l’Europe ne désapprouva pas cette conduite ; il lui donna au contraire son assentiment le plus chaleureux. Lorsque le 3 juin 1822 l’amiral Halgan lui fut présenté, voici les propres paroles que