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vernement qui trouve pour le servir des officiers animés de ce zèle consciencieux, des chefs de station dont le regard sait aller au-delà de l’horizon étroit de leur mission locale, des fonctionnaires qui, justement préoccupés des conséquences que leur avis peut avoir, songent moins à grossir l’importance de leur situation personnelle qu’à épargner à leur pays de fausses démarches et des embarras !

En repoussant la pensée d’une augmentation de forces, l’amiral Halgan s’était imposé le devoir de ne laisser aucun intérêt en souffrance et de suppléer par l’activité de ses capitaines au chiffre limité de ses bâtimens. Ce devoir, il n’y faillit pas. Le 6 août 1821, le consul-général de Russie à Smyrne, « repoussé, nous dit M. David, par les commandans anglais et hollandais, qui craignaient de se compromettre, s’embarquait à bord de la flûte du roi l’Ariège. » Le même jour, l’amiral Halgan partait pour Salonique avec la frégate la Guerrière, sur laquelle il venait d’arborer son pavillon ; le chevalier de Viella, commandant la Fleur de Lis, quittait les îles d’Ourlac et allait chercher M. Fauvel à Zea pour le reconduire à Athènes ; la Bonite revenait de Chypre et de Rhodes ; la Jeanne d’Arc retournait à Alexandrie. Sur tous les points de l’Archipel, notre escadre était en mouvement, notre pavillon, redouté ou appelé, se montrait à l’improviste. On retrouvait la France, et c’était sa marine qui la montrait ainsi renaissante, secourable à tous, généreuse et fière, inspirant tour à tour l’espoir aux opprimés, la terreur aux forbans. Tous nos officiers ne supportèrent pas sans dommage cet excès de fatigues ; plusieurs payèrent de leur vie les services que notre drapeau rendit alors à la cause de l’humanité. Les fièvres paludéennes infestaient tout ce littoral, où les fleuves s’étaient endormis comme le peuple somnolent qui était venu dresser ses tentes sur leurs rives. Le commandant de la Chevrette, le lieutenant de vaisseau Gay, succombait le 23 septembre 1821 à une fièvre maligne. « C’est dans l’atmosphère de Salonique, écrivait M. David, que ce brave officier a pour ainsi dire aspiré le principe de sa maladie. Il est mort le lendemain de son entrée en rade de Smyrne, le onzième jour de sa maladie. Il est inhumé à côté du capitaine Serval que nous avons perdu trente-huit jours auparavant. »

La fièvre ! voilà ce qui fera plus de ravages dans les rangs des armées grecques que le sabre des Turcs ! voilà ce qui jettera bientôt sur les quais de Smyrne, dans le dénûment et dans le désespoir, une foule de jeunes enthousiastes, entraînés par l’ardeur à laquelle obéissaient alors les chrétiens, les sceptiques et les poètes ; minés par la maladie, on les verra, au bout de quelques mois, venir demander aux consuls le pain dont la Grèce les laissera manquer, aux amiraux un passage sur nos bâtimens. Aucune souffrance ne trouva