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Nous devons nous sentir bien humiliés en France, où nous n’avons rien à présenter qui fasse pendant.

A notre avis, cette triste confession politique achève de caractériser le livre que nous avons entrepris d’apprécier. Ce livre fait et fera encore beaucoup de bruit, d’abord à cause de la réputation méritée de l’auteur, puis parce que, dans la philosophie religieuse qu’il déroule, il y a un mélange brillant de vrai et de faux, de principes légitimes et de conséquences erronées, de profondeur et de jugemens superficiels, de nature à troubler beaucoup d’intelligences. Pour nous, ce livre nous afflige, parce qu’il est toujours triste de voir un homme de talent trahi par son caractère, et M. Strauss s’est révélé dans son manifeste comme un homme de passion haineuse, non plus comme le critique froidement impartial, maître de son sujet et se possédant lui-même, que ses écrits antérieurs nous avaient fait connaître. M. Strauss s’est survécu. Il se flatte, dans l’opuscule que nous avons cité plus haut, qu’un jour viendra où les jugemens, presque partout hostiles à son livre, seront remplacés par des adhésions plus ou moins explicites. Nous pensons qu’il se trompe ; nous nous refusons à croire que l’avenir soit aussi désolé, aussi terne, aussi laid qu’il le prédit. L’expérience et la philosophie conduiront l’esprit humain dans une tout autre voie. Bien loin d’inaugurer une ère nouvelle, son livre est la fin d’une période et d’une école ; il signifie la banqueroute de l’hégélianisme. Sans doute, le passé est bien passé et ne reviendra plus ; mais ou bien l’avenir sera voué à l’impuissance, ou bien il verra la conciliation, satisfaisante pour l’esprit et le cœur, des vérités que nous ne savons pas toujours concilier, qui s’imposent pourtant aux consciences droites. A sa politique inspirée par un doctrinarisme puéril, nous opposons les grandes idées libérales, généreuses, démocratiques, dont la France a eu la grande initiative et dont nous souhaitons à l’Allemagne de se pénétrer mieux qu’elle n’a pu le faire jusqu’à présent. Aux oracles du matérialisme athée, nous continuons de préférer les révélations de la conscience et du cœur, qu’une connaissance plus exacte du monde peut rectifier, épurer, rendre plus rationnelles, plus majestueuses encore, mais qu’elle ne saurait détruire. Enfin, au lieu de dire comme lui que nous ne sommes plus chrétiens, nous pensons que, lorsque nous aurons tous bien compris le principe chrétien dans sa pureté native, nous nous apercevrons que c’est tout au plus si nous commençons à l’être.


ALBERT REVILLE.