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l’ultima ratio des peuples, tout aussi bien que celle des rois, sera dans l’avenir, comme dans le passé, le canon. « Mesdames et messieurs, dit M. Strauss aux orateurs et oratrices du congrès de Lausanne, savez-vous quand vous parviendrez à faire que l’humanité concilie ses différends uniquement au moyen des conventions pacifiques ? ce sera le jour où vous aurez trouvé l’institution qui permettra à cette humanité de se propager uniquement par le moyen des discours de haute sagesse (dass dieselbe Menschheit fortan nur noch durch vernünflige Gesprœche sich fortpflanzt). »

Ah ! qu’en termes galans ces choses-là sont mises !

Nous apprenons que, si Napoléon III a déclaré la guerre à l’Allemagne, c’est qu’il a eu la main forcée par son peuple. Malheureusement cette erreur grossière, due en tout premier lieu aux déclarations intéressées du vaincu de Sedan, a encore cours dans une grande partie de l’Europe ; c’est la thèse officielle en Allemagne, et pourtant il faut ignorer le premier mot de ce dont on parle pour la soutenir encore ; mais passons. Nous arrivons aux préférences de l’auteur en matière de gouvernement. En théorie, nous dit-il, il est naturel de préférer la république à la monarchie ; en fait, dans l’état présent de l’Europe et de l’Allemagne, il faut préférer la monarchie. Sans doute « il y a dans la monarchie quelque chose d’énigmatique, d’absurde même en apparence ; c’est précisément en cela que consiste le secret de sa supériorité. Tout mystère paraît absurde, et pourtant sans mystère rien de profond, ni la vie, ni l’art, ni l’état. » Pourquoi donc ne pas ajouter : ni la religion ? Car enfin, s’il est un domaine où le mystère soit pour ainsi dire indigène, c’est bien celui-là ; mais l’auteur sans doute a ses raisons. A l’entendre, la république n’a jamais été en France qu’un régime transitoire entre deux despotismes, et elle n’a réussi qu’en Suisse et aux États-Unis. Encore faut-il observer qu’aux États-Unis le peuple n’a pas de caractère national (se serait-on jamais attendu à une pareille critique ?), et qu’en Suisse on tombe insensiblement dans la démocratie grossière, la pire forme de gouvernement. M. Strauss ne tient pas à être noble lui-même, cependant il aime qu’il y ait une noblesse privilégiée. Le suffrage universel est l’objet de son antipathie profonde, et son seul grief contre M. de Bismarck, c’est de l’avoir introduit en Allemagne. Le socialisme lui fait une peur atroce, et il ne saurait trop encourager les gouvernemens à lui courir sus, aussi bien qu’à l’ultramontanisme, cet autre ennemi juré du nouvel empire. Surtout qu’on se garde bien d’abolir la peine de mort pour faire plaisir aux utopistes, c’est un rempart indispensable à la sécurité sociale.