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physiologie et la psychologie peuvent travailler chacune de son côté, à la fin se rencontrer ; et sans jamais avoir à se combattre. Nous nous rapprochons ainsi beaucoup de la monadologie de Leibniz, ou du système dans lequel chaque monade indivisible possède virtuellement la capacité du développement le plus complet ; mais on peut exécuter beaucoup de variations sur cette intuition du génie, on ne peut en bonne philosophie la répudier absolument.

Il est encore une règle logique dont il faut tenir grand compte quand on veut interpréter sainement les révélations de la nature. On a usé et beaucoup abusé des causes finales. Surtout on a eu le grand tort de les ériger en explications scientifiques. On disait par exemple : si l’œil de l’animal est constitué de telle et telle façon, c’est qu’il est fait pour que l’animal puisse voir ; si l’estomac digère de telle et telle manière, c’est afin que le corps soit nourri. C’est parfaitement vrai ; pourtant cela ne nous donne pas l’ombre d’une explication de la constitution de l’œil ni des opérations de l’estomac. Qu’est-il arrivé ? Les savans se sont insurgés contre les causes finales en tant qu’explication des phénomènes, et ils ont eu raison. Ils sont parvenus à montrer, sur une foule de points les séries inconscientes, mécaniques ou chimiques, de causes et d’effets qui, partant d’un point donné, aboutissent à des résultats en apparence intentionnels ou voulus ; mais, comme toute la série dénotait l’inconscience, ils ont nié la finalité, et c’est là qu’ils ont outre-passé leur droit. Ils oublient que d’une intention voulue peut provenir toute une série d’actes inconsciens aboutissant à une fin voulue. Quand par exemple, avant de m’endormir, je remonte un réveille-matin pour être certain de me réveiller à une centaine heure, l’acte initial du remontage et le fait final de mon réveil sont voulus et consciens tous les deux, et pourtant tout ce qui passe dans l’intervalle est inconscient. J’oublie entièrement pendant mon sommeil ce que j’ai fait ; les rouages de mon instrument fonctionnent conformément aux lois mécaniques, les aiguilles marchent par leur impulsion, elles marquent successivement les heures à intervalles égaux, et, lorsque arrive l’heure fixée, un échappement joue, une sonnerie carillonne, le bruit me réveille, c’est ce que j’avais voulu. Voilà deux faits intentionnels reliés ensemble par une série de faits où la conscience n’entre pour rien. Celui qui étudierait cette succession de phénomènes sans connaître l’usage de ce genre d’horloge et