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on a longtemps invoqué le phénomène de la vie pour prouver qu’une intervention créatrice avait dû nécessairement avoir lieu pour que l’être vivant surgît de la matière inorganique. Nous n’en sommes plus là. La science moderne, remontant aux origines des faits vitaux, est arrivée à la cellule organisée primitive, puis aux êtres sans structure et déjà vivans, gelées amorphes qui pourtant se nourrissent, se propagent et qui nous mènent par d’insensibles transitions aux organismes plus compliqués. Avec cette formule magique : petits progrès s’ajoutant indéfiniment les uns aux autres et espaces de temps immenses, la science vient à bout de tous les problèmes. Inutile d’ajouter que M. Strauss est enthousiaste du système de M. Darwin. Il reconnaît bien que ce système souffre encore de nombreuses lacunes, mais enfin il est dans le vrai, il doit y être. Ce n’est pas seulement M. Darwin, c’est aussi M. C. Vogt qui est dans le vrai. Ce dernier pourtant « n’est pas son homme, » nous dit-il par acquit de conscience (je crois bien ! M. Vogt a eu le malheur de penser et d’écrire que l’Allemagne avait sa bonne part de torts dans l’abominable guerre de 1870) ; pourtant sur la question de l’âme humaine M. Vogt a parfaitement raison. L’âme distincte du corps, c’est une hypothèse inutile, la pensée est purement et simplement une production du cerveau. Qu’on ne se récrie pas ! La science contemporaine démontre que le mouvement dans de certaines conditions se transforme en chaleur ; pourquoi, dans d’autres conditions, ne se changerait-il pas en sensation ? Qu’on ne nous parle plus de téléologie, de causes finales, d’intentions voulues dans la nature pour nous forcer à reconnaître l’action d’une intelligence consciente et sage. Ne voyons-nous pas à chaque instant des forces inconscientes, telles que l’instinct, agir avec les apparences de la conscience ? L’univers n’est autre chose qu’une matière qui se meut à l’infini, moyennant une foule de mélanges et de décompositions, s’élevant à des formes et à des fonctions toujours plus compliquées et décrivant un cercle éternel de formations, de dissolutions et de formations nouvelles. Voilà comment il faut désormais concevoir le monde.

Ce chapitre est à la fois le plus faible et le plus fort du livre. M. Strauss, dans son engouement pour certains résultats récens des sciences naturelles, s’est aventuré avec une ardeur juvénile sur un domaine où sa compétence est mince. Il a fait de la cosmologie et de la physiologie en amateur, et dans son pays il n’a pas manqué de contradicteurs de ses hérésies scientifiques. Par exemple, on lui a fait observer qu’il n’avait pas même l’air de se douter de la vraie nature du problème posé par l’apparition de la vie sur le globe. Il nous parle des bathybius trouvés par Huxley, des monères décrits