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rapport actif avec l’objet de la foi ; mais il en résulta simplement pour lui que l’homme n’avait jamais eu de religion que parce qu’il croyait réagir sur la Divinité pour l’exploiter à son bénéfice. Depuis que ces théories, si diverses par la tendance et l’idée directrice, sont entrées dans le domaine public de la philosophie religieuse, il n’a pas manqué de travaux qui en ont fait ressortir l’insuffisance. On a pu relever au nom « de la logique et de l’expérience que ces formules du sentiment religieux étaient trop étroites, que, si la religion revenait simplement à une crainte et à un calcul, sa persistance serait inimaginable dans les cas où elle se montre à nous sous les traits de l’amour le plus intense et le plus désintéressé, qu’il fallait de toute nécessité faire rentrer dans la définition et mettre même tout au centre le plaisir mystérieux que l’homme puise dans l’adoration et, ce qui y correspond, le besoin spontané qu’il éprouve de se sentir en communion avec la toute-puissance, la beauté suprême, l’idéal réel, que par conséquent le sentiment religieux ne doit pas être réduit à un ou deux sentimens déterminés, qu’il ressemble plutôt à une gamme intérieure, où la crainte et l’amour, l’admiration et le respect, la terreur tragique et la volupté mystique se font entendre tour à tour et même simultanément. Tout cela a été dit, professé, imprimé ; un écrivain dont les études religieuses sont la spécialité devrait le savoir mieux que personne. On s’imagine peut-être que le docteur Strauss, sectateur de l’Univers, a tenu compte de ces rectifications commandées par le bon sens et l’amour du vrai. Nullement. La formule de Schleiermacher, très sincère dans la pensée de l’illustre théologien, mais, qui n’est plus aujourd’hui qu’une phrase, — celle de Feuerbach, autre phrase plus creuse encore, sont restées pour lui l’alpha et l’oméga de la philosophie religieuse. La peur et l’intérêt, voilà, selon notre docteur, les seules génératrices de la religion dans l’humanité. C’est superficiel au possible, et, s’il lisait une pareille théorie dans un livre français, il y trouverait une occasion nouvelle de nous reprocher notre incurable légèreté ; mais elle se présente en allemand, avec tout le sérieux allemand, M. Strauss l’accepte les yeux fermés, et il conclut… en proposant une piété pleine d’humilité, de renoncement, de dignité, de confiance et de désintéressement, dont l’objet doit être désormais l’Univers aveugle et sourd, seulement avec un grand U. Là-dessus, nous l’enfermons dans ce dilemme, dont nous le défions de sortir : ou bien ces sentimens si distans de la peur et du calcul constituent une religion, et alors il est faux, que la religion soit par essence fille de la peur et du calcul ; ou bien c’est par un abus du langage qu’il leur donne le nom de religion, et alors à sa seconde question : avons-nous encore de la religion ? il devait