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terrain de la discussion désintéressée. Si M. Strauss s’indigne à l’idée que de tous côtés on lui reproche de n’avoir pas procédé selon les règles du fair play, il ne doit s’en prendre qu’à lui-même.


III

Avons-nous encore de la religion ? se demande M. Strauss après avoir déclaré que nous ne sommes plus chrétiens. Avant de répondre, il remonte aux origines psychologiques de la religion dans l’histoire. Il les trouve avec Hume dans la recherche du bien-être, dont la nature fournissait ou refusait à l’homme les conditions. L’homme personnifia les phénomènes naturels, les conjurant ou les invoquant selon les circonstances. De là le polythéisme, au milieu duquel surgit le monothéisme, mais d’abord comme l’adoration exclusive d’un dieu national et simplement inspiré par le sentiment exalté qu’une tribu nomade, aux besoins très restreints, avait d’elle-même et de sa supériorité. Quand le platonisme alexandrin a fait son œuvre en se greffant sur le monothéisme juif, on se trouve en face d’une notion de la divinité qui associe l’absolu, d’origine platonicienne, à la personnalité, d’origine juive. C’était, continue M. Strauss, une contradiction latente, car le propre de l’absolu est d’être sans limite, et celui de la personnalité d’être une limitation. D’ailleurs la manière dont il faut concevoir le monde depuis Copernic, Galilée, Newton, en reléguant dans le domaine des chimères le ciel des anges, le trône de Dieu, le paradis des bienheureux, a enlevé toute valeur positive à l’idée d’un Dieu personnel. La nécessité reconnue des lois naturelles et de la connexion fatale des phénomènes a du même coup tué la prière ; peut-on prier un Dieu inexorable ? Les anciennes preuves alléguées pour démontrer l’existence d’un Dieu conscient sont contradictoires ou insuffisantes, même celle que Kant déduisait de la nécessité d’un restaurateur de l’ordre moral ; il n’arrivait en fin de compte qu’à un Deus ex machina que l’on peut désirer, mais que rien ne démontre. L’idée suprême à laquelle nous puissions nous élever sans dépasser les données positives que le monde fournit à notre intelligence, c’est celle de la substance dont les êtres particuliers sont les accidens, ou, pour mieux dire, de l’Univers, immuable et toujours identique dans son essence, se réalisant dans une éternelle série de phénomènes, mais n’ayant nulle part conscience de lui-même. Les spéculations de Fichte, de Schelling, de Hegel, aboutissent en fait au même résultat, ou, quand elles n’y aboutissent pas, se perdent dans le vague ou le contradictoire. Il faut raisonner d’une manière analogue sur la question de l’immortalité individuelle, cet autre