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s’est attaqué au résidu laissé par les formes successives du christianisme, y compris la dernière, celle de Schleiermacher, en arguant de faux les articles du symbole des apôtres et les dogmes tels que la trinité et la chute, que l’on peut greffer sur quelques-uns d’entre eux. Si toutes les formes qui nous ont précédés sont démontrées fausses, semble-t-il nous dire, que demandez-vous de plus ? Mais c’est précisément là le sophisme qu’il n’a pas vu ou voulu voir, et qui consiste à reconnaître que le christianisme a pu se présenter sous diverses formes, et à s’imaginer en même temps que la dernière pour nous est la dernière de l’histoire. Sur quoi fonder une pareille présomption ? Certainement Schleiermacher restera dans les annales de la religion l’un de ces penseurs originaux et réformateurs qui font époque et ouvrent à leur génération des horizons nouveaux ; mais enfin il ne fut pas infaillible, et nous connaissons de par le monde plus d’un chrétien de bonne maison qui, tout en l’admirant beaucoup, se permet de trouver qu’il n’est pas toujours clair, et que, lorsqu’il est clair, il est souvent bien paradoxal. M. Strauss n’a-t-il donc pas vu qu’à chaque moment du passé où le christianisme dépouilla sa forme antérieure pour en prendre une nouvelle, on n’aurait eu qu’à raisonner comme lui pour déclarer qu’il était fini, condamné, qu’il allait mourir, et qu’il n’y avait plus rien à en attendre ? Il faut s’armer de circonspection avant de proclamer la fin d’une religion, surtout quand le principe de cette religion, comme c’est le cas ici, n’est autre chose au fond que le principe religieux lui-même conçu avec une énergie et une pureté sans rivales, car, si les religions passent, la religion reste, comme l’humanité dont elle est le premier titre de noblesse.

A dire vrai, M. Strauss aurait pu laisser de côté sa première question, puisque la réponse à lui faire dépendait tout entière du sens qu’il faut donner à la seconde, celle qui concerne la religion en général. Si nous avons insisté nous-même sur cette première question, c’est qu’elle mettait en plein jour la disposition plus hargneuse que philosophique dont il était animé en rédigeant son manifeste. Cette première partie était évidemment une machine de guerre. Elle s’adressait à une classe moyenne de lecteurs assez éclairés pour la comprendre et trop peu exercés à ce genre de controverse pour en discerner les défauts techniques. A la guerre, tous les moyens contre l’ennemi sont bons, dit-on parfois, et les vertueux compatriotes de M. Strauss nous ont suffisamment appris qu’ils prenaient cette maxime au sérieux, comme toutes les maximes, surtout quand elles leur profitent. Toutefois il en résulte aussi que, lorsqu’on voit employer certains moyens, on a le droit de conclure qu’on est sur le pied de guerre et non plus sur le