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par la raison toute simple que la plupart de ces critiques de détail passent par-dessus le christianisme qu’ils professent. Que leur prétention soit légitime ou non, cela pour le moment ne nous regarde pas, il suffit qu’ils l’émettent pour que toute la peine que s’est donnée M. Strauss dans cette première partie ait été dépensée en pure perte. Nous en dirons autant du paragraphe où il s’attaque à la liturgie luthérienne de son pays, comme si toute la chrétienté était tenue de s’y soumettre, pour démontrer qu’elle repose sur une conception de la personne de Jésus que la théologie moderne a dépassée. Nous pourrions penser qu’il a parfaitement raison dans ce genre de critiques, en conclure qu’il serait urgent de réformer ou d’élargir cette liturgie, mais de grâce qu’est-ce que cela prouve pour tant d’autres communautés chrétiennes dont la liturgie est tout autre ou même qui n’ont pas de liturgie du tout ? Tout cela, c’est de la petite et mesquine guerre, c’est la plus étrange confusion de l’accessoire et de l’essentiel dont un théologien passant pour émancipé de la tradition se soit jamais rendu coupable. Tout au plus la comprendrait-on chez un traditionaliste, ne sachant se faire à l’idée que le christianisme persiste au travers de ses transformations les plus disparates ; pour lui, la forme que le christianisme revêt de son temps et dans son église est la seule forme possible, la seule acceptable, la seule qui ait jamais eu le droit d’exister. M. le docteur Strauss, si expert dans l’histoire de l’église et du dogme, lui qui savait longtemps avant nous que, sans parler des autres évolutions de la pensée chrétienne, l’orthodoxie a bien au moins trois fois changé de nature et de formes officielles avant de se présenter telle que nous la connaissons aujourd’hui, le docteur Strauss recourir à ces raisonnemens de sacristain piétiste ou d’évangéliste ambulant ! c’est à n’y rien comprendre. On s’explique aisément les sentimens de déception, de stupéfaction et même de dépit des théologiens libéraux de Suisse, d’Allemagne et de Hollande quand ils se sont vus en face d’une pareille argumentation. Des médecins sérieux de nos jours ne seraient pas plus étonnés en voyant une question médicale traitée par un des maîtres de la science d’après les méthodes en vogue au temps de Molière. Nous le répétons, il y a là un indice fort triste d’affaiblissement intellectuel, ou, ce qui au fond revient au même, d’une passion mal gouvernée, et qui aveugle sur les moyens de combattre loyalement un adversaire détesté.

Peut-être M. Strauss répondrait-il qu’il a refusé d’entrer dans le vif de sa propre question, qu’il n’a pas voulu analyser une fois de plus les origines chrétiennes pour en extraire le principe vital du christianisme, et que, pour aller plus sûrement à son adresse, il