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Sans doute la politique préconisée dans le livre est loin de leur plaire ; cependant le vieux docteur en théologie rend un tel hommage à leur manière de voir favorite en religion, c’est-à-dire au nihilisme, qu’ils n’ont pas jugé à propos de faire les dégoûtés. Pourquoi se fâcherait-on à cause de quelques applications arbitraires, quand en principe on vous accorde l’essentiel ? Il est pourtant douteux que ces approbations suspectes aient paru une compensation suffisante à l’aristocratique écrivain. — Bien que bourgeois en effet et fier, dit-il, de l’être, M. Strauss, par ses goûts, ses tendances et, on peut l’ajouter, par ses petites faiblesses, est un aristocrate de la plus belle eau ; mais si, comme nous nous permettons de le soupçonner, M. Strauss éprouvait le besoin de se sentir encore une fois bien isolé avant de quitter la scène de ce monde, on ne peut lui contester le mérite d’avoir parfaitement réussi.

Cependant on se tromperait en partant simplement du fait de cet isolement actuel pour affirmer que la confession d’un théologien qui a formellement rompu avec l’église, le christianisme et toute foi religieuse, sera sans effet sur l’opinion, M. Strauss aurait le droit de rappeler, comme il le fait du reste dans un opuscule publié en guise de préface de la quatrième édition de son livre, qu’il n’était pas moins isolé il y a quarante ans après l’apparition de sa Vie de Jésus, et que, depuis lors, le développement de la science religieuse a rapproché de lui bien des esprits qui avaient commencé par se tenir soigneusement à l’écart. S’il faut reconnaître un second mérite à son dernier ouvrage, c’est la réunion en un même corps de doctrine de thèses plus ou moins avouées, plus ou moins dispersées, ici proposées par un matérialisme dépourvu de tout discernement philosophique, et qui ne se doute pas même des énormités psychologiques qu’il se permet, là repoussées trop souvent au nom d’un spiritualisme étranger aux progrès récens des sciences naturelles. M. Strauss est toujours fort habile dans l’art d’exprimer ses idées avec une clarté incisive, rare chez ses compatriotes, d’une manière originale, humoristique et portant coup. L’espèce de brutale franchise avec laquelle il coupe le dernier câble qui le rattachait encore à la réforme plutôt qu’à la révolution religieuse vaudra à son manifeste une popularité que ses travaux scientifiques n’ont jamais eue. Le livre sera traduit, connu en France, et si selon nous la valeur de ce livre est fort mince, nous tenons à dire pourquoi.


II

S’il y a dans cette confession du docteur allemand un chapitre qui nous montre qu’il est tombé au-dessous de lui-même, c’est sans