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l’ennemi qui, dès le 28, se rapprochait assez pour couvrir la citadelle de son feu, après l’avoir vainement sommée de se rendre. Le commandant de la place, le capitaine Vogel, était un officier énergique qui avait témoigné de la résolution jusqu’au bout, lorsque, visitant les bastions sous une grêle de projectiles, il tombait frappé à mort. C’était par le fait la désorganisation de la défense, qui restait confiée à un commandant de l’artillerie de la mobile d’Amiens et à une poignée d’hommes peu préparés à soutenir un siège, émus d’avance de se voir réduits à tirer sur leur propre ville. C’était la chute de la citadelle, qui, après un jour de feu, capitulait le lendemain devant une sommation nouvelle de l’ennemi. On était au 29 novembre. Les Allemands avaient ce qu’ils voulaient, ils tenaient Amiens.

Au moment enfin où la marche des événemens se dessinait ainsi vers le nord, la campagne, suspendue pour quelques jours après Coulmiers, allait recommencer sur la Loire, un suprême et sanglant effort allait être tenté sous Paris. Les faits se pressaient ou se préparaient, les uns menaçans, les autres propres à stimuler les courages et à réveiller les espérances. Ce qui est certain, c’est que de toutes parts à la fois éclataient les signes d’une crise qui pouvait être décisive. Une sorte de frisson courait en avant des lignes de l’invasion en Normandie, où le bruit de la prochaine sortie parisienne se répandait déjà. On sentait que l’heure de l’action était venue pour tous, et le général Briand, qui jusque-là s’était borné à tenir l’ennemi en respect en couvrant Rouen, Briand se décidait, lui aussi, à sortir de ses lignes de défense pour se porter en avant. Il se flattait de pousser jusqu’à Gisors, par une marche hardie, et de surprendre peut-être les Prussiens, le prince Albrecht lui-même. Il ne savait pas que le prince Albrecht, rappelé sous Paris, venait de quitter Gisors, où il avait été remplacé par le comte de Lippe, envoyé de Beauvais avec des Saxons. Ce qu’il savait encore moins, c’est qu’au même instant le comte de Lippe méditait un mouvement à peu près semblable en sens contraire. Les Allemands se proposaient de pousser jusqu’à Écouis, sur la route de Rouen, tout près de l’Andelle, en passant par Étrépagny et Tillières-en-Vexin. Le général Briand, de son côté, se disposait à marcher sur Gisors par les mêmes chemins. Si le chef français ne savait pas ce qui se passait devant lui, l’ennemi n’était pas mieux fixé sur nos mouvemens. On s’engageait de part et d’autre dans l’inconnu et dans l’imprévu. Le résultat inévitable était une des plus curieuses surprises de cette guerre, ce qui s’est appelé l’échauffourée d’Étrépagny, incident nocturne désastreux pour les Allemands, heureux pour les Français, mais en définitive inutile comme toutes les échauffourées qui ne changent pas la marche des événemens.