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grande partie de la noblesse, qui n’a jamais reconnu la légitimité de don Carlos, qui, après avoir été fidèle à la royauté d’Isabelle, se rallierait plutôt au fils de la reine. Aujourd’hui cependant le carlisme pourrait bien avoir une certaine phase de recrudescence, retrouver quelques chances apparentes et momentanées, si dans une crise d’anarchie il restait en quelque sorte la seule force organisée, si l’on n’avait à lui opposer qu’une armée à moitié débandée, ou, comme on le dit, des volontaires, des milices indisciplinées, et un gouvernement réduit lui-même à se débattre dans l’immense mêlée des passions révolutionnaires.

Là est justement la question. Un gouvernement régulier, constitué, ralliant sous sa main toutes les forces libérales et modérées de l’Espagne, aurait bientôt raison des carlistes de la Navarre et de la Catalogne. La république n’en est pas là ; elle est menacée par ses propres divisions, par les excès de ses partisans ou de ses sectaires autant que par les carlistes. Elle ne sait pas encore ce qu’elle veut être, si elle prendra la forme fédéraliste ou la forme unitaire. Le gouvernement lui-même flotte entre le sentiment de toutes les nécessités de la situation où il se trouve et les opinions de quelques-uns de ses membres qui se sont prononcés depuis longtemps pour la république fédérale. Or la république fédérale en ce moment, c’est une menace de dissolution pour la péninsule, c’est presque une question de vie ou de mort. On le sent bien, et dès le premier instant l’ambassadeur d’Espagne à Paris, M. Olozaga, n’a point hésité à déclarer qu’il ne resterait pas un quart d’heure le représentant d’un gouvernement qui arborerait la bannière du fédéralisme, qu’il ne prêterait jamais son nom à une œuvre qui serait à ses yeux la destruction de l’unité nationale conquise par sept siècles d’efforts. M. Emilio Castelar, à ce qu’il paraît, n’a répondu qu’à moitié, tout juste ce qu’il fallait pour retenir à son poste M. Olozaga ; c’est un point réservé, dit-on.

Pendant ce temps, l’incertitude et l’agitation gagnent le pays tout entier. Ce que les politiques ont la prétention de réserver, les passions déchaînées le tranchent bruyamment. À Barcelone, on proclame la république fédérale, et on s’arme pour elle. Dans quelques grandes villes, on agit comme s’il n’y avait plus de pouvoir central. Dans cette république, dont on se fait d’étranges idées, les soldats voient leur licenciement, et ils se mutinent pour avoir leur congé définitif ; les paysans de l’Andalousie voient le partage des terres, et ils se jettent sur les propriétés en égorgeant les propriétaires, chose qui, à la vérité, n’est point absolument nouvelle, qui s’est reproduite plus d’une fois dans les révolutions espagnoles. C’est un socialisme tout pratique à l’usage des paysans andaloux dans toutes les grandes crises. À Madrid même, où il reste toujours plus de moyens d’action régulière, la situation tend visiblement à s’aggraver ; il y a une fermentation croissante qui se traduit tantôt par