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chargeraient de lui porter des conditions ou des conseils. Il n’écoute pas les conseils et il ne reçoit pas de conditions. Avec lui du moins, on sait à quoi s’en tenir, c’est la légitimité dans ce qu’elle a de plus inflexible, et, chemin faisant, M. le comte de Chambord ne dédaigne pas de faire un peu la leçon à tout le monde, même à l’éminent personnage ecclésiastique qui s’est adressé à lui. Certes cette lettre ne manque ni d’élévation, ni de fierté, ni d’esprit. M. le comte de Chambord, après quarante-trois ans d’exil, n’est point pressé, il reste invariable et immobile dans sa solitude. Il porte en lui non l’esprit de Louis XVIII, mais l’inspiration de son aïeul Charles X à la veille de la catastrophe qui allait emporter sa couronne et sa maison. Pour M. le comte de Chambord, la royauté est un dogme qui ne peut se plier à rien, et son modèle est celui qu’il appelle le captif du Vatican. On ne peut méconnaître ce qu’il y a de dignité dans cette attitude ; c’est la noblesse mélancolique de ceux qui s’en vont et qui appartiennent déjà au passé. Le prince ressemble assez à un capitaine qui plante son pavillon au grand mât du navire avant de disparaître ; il sombre avec honneur, mais il sombre. M. le comte de Chambord ne se doute sûrement pas de l’impression indéfinissable que laissent ses manifestations ; elles ressemblent à une abdication déguisée, à l’acte d’un homme qui n’a ni le goût ni l’ambition du règne.

Chose étrange cependant, voilà un curieux dialogue de plus dans notre temps. C’est un évêque qui s’efforce d’incliner l’esprit d’un prince aux idées de conciliation, aux accommodemens avec son siècle et avec son pays ; c’est le prince qui se montre immuable dans ses idées de royauté sacerdotale, qui offre à la France d’être un lieutenant de Pie IX sur le trône ! C’est le prêtre qui s’est fait politique pour la circonstance, c’est le prince qui s’est fait évêque et qui parle en évêque ! L’incident est passé, il n’est peut-être pas sans avoir une certaine conséquence politique immédiate aujourd’hui. Évidemment cette lettre de M. le comte de Chambord à M. l’évêque d’Orléans est le dernier mot de toutes les tentatives de fusion. Que les légitimistes après cela restent légitimistes, il n’y a rien à dire, ils s’attachent à une cause qui proclame elle-même son impuissance. Il est bien clair que ceux qui n’admettent qu’une monarchie constitutionnelle, libérale, compatible avec tous les instincts de leur pays, ne peuvent s’asservir à l’immutabilité d’un dogme, et leur pensée ne peut se détacher de la France telle qu’elle existe, quelle que soit sa condition politique présente. Le manifeste de M. le comte de Chambord a déjà produit un premier effet ; il a fait sentir aux esprits éclairés de la commission des trente la nécessité d’écarter toute crise nouvelle par une transaction avec le gouvernement. C’est là peut-être le commencement de cette union.des centres de l’assemblée, de cette alliance des forces conservatrices et libérales qui est, à vrai dire, la plus sûre ga-