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dangereux et qui peut amener beaucoup d’abus ; il les représente gravement assis comme les sénateurs dans la curie. Jupiter leur parle avec une dignité toute romaine ; puis, quand il a fini et qu’il s’est levé de son trône d’or, les dieux l’entourent et le reconduisent comme on fait pour les magistrats et les grands citoyens de Rome. Ces changemens de détail peuvent sembler quelquefois sans importance ; il est bon cependant de les signaler : ce sont autant de concessions que le poète fait à l’esprit de son temps, ils nous montrent qu’il n’a pas voulu s’en isoler et de quelle manière il a introduit les idées, les opinions, les scrupules de ses contemporains jusque dans ces peintures et ces récits dont le fond lui vient du vieil Homère.

Si Virgile n’avait fait que mêler ensemble, dans ses conceptions religieuses, l’antique et le moderne, le présent et le passé, il ne se distinguerait guère des gens de son époque. C’était en effet de ce mélange d’élémens anciens et nouveaux que se composait alors la religion de tout le monde ; mais ce qui le sépare des autres, c’est qu’il semble pressentir par momens les croyances de l’avenir. Sa poésie paraît avoir quelquefois des accens chrétiens. Il lui arrive d’exprimer des sentimens qui sans être étrangers au paganisme lui sont moins ordinaires, et l’on trouve dans son poème une couleur générale qui n’est pas tout à fait celle des autres œuvres inspirées par les religions antiques. Il a horreur de la guerre, quoiqu’il l’ait beaucoup chantée, et condamne sévèrement « la criminelle folie des combats. » Dans un poème destiné à célébrer les rois fils des dieux, il trouve moyen de parler avec émotion des faibles et des humbles. Il est plein de tendresse pour les malheureux et les opprimés ; il compatit aux douleurs humaines. Son héros si triste, si résigné, si méfiant de ses forces, si prêt à tous les sacrifices, si obéissant aux volontés du ciel, a déjà quelques traits d’un héros chrétien. A côté de toutes les petitesses des dieux du paganisme, qu’il n’a pu corriger tout à fait, quoiqu’il les ait fort atténuées, on est surpris de l’idée élevée qu’il se fait parfois de la divinité. Il la regarde comme la dernière ressource du malheureux qu’on outrage. À ces esprits violens qui méprisent l’humanité et qui n’ont pas peur de la force, il rappelle qu’il y a des dieux et qu’ils n’oublient pas la vertu ni le crime ; il les montre accordant à ceux qui viennent de faire une bonne action la meilleure et la plus pure des récompenses, la joie de l’âme, la satisfaction du bien accompli. C’est à eux d’abord qu’on s’adresse quand on est atteint de quelque peine intérieure, « On va dans leurs temples demander son pardon au pied des autels. » En leur présence on est humble et respectueux ; « jetez seulement les yeux sur nous, leur dit-on, et, si vous trouvez que notre piété le mérite, accordez-nous votre secours. » S’ils refusent, on se résigne ; même quand leur colère tombe sur un honnête homme,