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manière la plus fantastique, mais qui en définitive avaient pour objet et parfois pour résultat de harceler l’ennemi, de le dégoûter des incursions trop hardies, de le troubler dans ses réquisitions. Par le fait, on ne perdait pas de terrain, on regagnait des villages qu’on avait d’abord abandonnés, on prenait de la hardiesse dans ces mêlées incessantes où l’on se rencontrait avec les Prussiens, et toutes ces forces éparses, agitées, occupées à batailler en avant de la vallée de l’Andelle, finissaient par former ce qui s’est appelé l’armée de Normandie.

C’était, à dire vrai, une armée un peu étrangement composée. Elle comptait, sans parler des gardes nationales, deux régimens de cavalerie, le 3e de hussards et le 12e de chasseurs, envoyés par le gouvernement, de l’infanterie de marche formée en toute hâte, des mobiles de plusieurs départemens, même de départemens assez éloignés, des mobilisés du pays, et une nuée de francs-tireurs, d’éclaireurs, de guides tourbillonnant de tous les côtés. Les gardes nationales, prises en masse, auraient pu réunir plus de 200,000 hommes : c’était le nombre, c’est-à-dire une force d’ostentation, plus embarrassante que capable de servir à une action sérieuse. L’armée proprement dite, avec un peu de temps et sous une discipline énergique, aurait pu fournir un noyau de 20,000 ou 25,000 hommes, peut-être un peu plus. Le commandement, d’abord partagé entre le général Gudin, comme chef militaire, et M. Estancelin, comme chef des gardes nationales, passait bientôt tout entier au général Briand, chargé de la direction supérieure des opérations devant l’ennemi. Le général Briand avait certainement assez à faire pour organiser et conduire ces forces, peu propres encore à une campagne régulière, suffisantes du moins pour contenir l’ennemi, pour couvrir Rouen d’une apparence d’agitation militaire. C’est dans un de ces corps improvisés pour la défense de la Normandie que se trouvait alors et qu’est resté jusqu’au bout un jeune officier perdu dans la foule pour servir son pays, inconnu de son général aussi bien que de ses soldats, réduit à cacher le duc de Chartres sous le nom du capitaine Robert le Fort.

On avait refusé une place dans l’armée française aux princes d’Orléans accourus à Paris au lendemain du 4 septembre. Ils étaient repartis tristement pour l’Angleterre ; seulement deux d’entre eux étaient sortis par Boulogne pour rentrer par Le Havre, et tandis que le prince de Joinville se rendait à Tours frappant à toutes les portes, sollicitant sans se lasser le droit de combattre pour la France, le duc de Chartres s’arrêtait à Rouen, Il avait voulu d’abord s’engager dans un bataillon de mobiles, il n’avait pas de papiers à produire. Il ne savait trop que faire lorsqu’il rencontrait dans les rues de