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contemporains les opinions et les sentimens qu’il voulait leur donner. Les autres, nous venons de le dire, étaient mal préparés par leur vie et leur caractère à ce rôle qu’ils s’étaient imposé ; au contraire, il semble que la nature avait fait Virgile pour le remplir. En accomplissant pour sa part l’œuvre à laquelle Auguste conviait les grands esprits de ce temps, il n’obéissait pas moins à ses instincts propres qu’aux exhortations de l’empereur.

Sa vie ne commence pour nous qu’avec les Bucoliques : il avait près de trente ans quand il les écrivit. Ce qu’il fit jusqu’à ce moment est à peu près ignoré. Il est probable qu’il s’était acquis déjà un certain renom dans sa province, puisque Pollion, qui la gouvernait, voulut le connaître ; il n’est guère douteux non plus qu’il n’ait toujours beaucoup aimé ces campagnes où il était né, et dont il a laissé de si beaux tableaux. Il avait souvent dans ses premières années « pris l’ombre et le frais le long des fontaines sacrées, » il avait dormi « au murmure des abeilles bourdonnant autour de la haie de saule, » il s’était éveillé « au gémissement des ramiers et des tourterelles, au chant lointain du paysan qui coupait sa vigne, » et il n’oublia jamais ces impressions de son enfance. On le fit voyager dès qu’il eut grandi. Il visita Milan et Naples, il habita la superbe Rome, « qui élève sa tête au-dessus des autres villes autant que le cyprès domine les humbles arbrisseaux ; » il y fréquenta des écoles célèbres où il connut toute la brillante jeunesse de ce temps, mais les grandes villes ne lui firent pas oublier son pays. Ses souvenirs, ses affections, devaient le rappeler sans cesse « vers ces champs que le Mincius arrose de ses sinuosités flexibles, » et il s’empressa d’y revenir quand son éducation fut achevée. Il s’y trouvait pendant les guerres civiles, il y serait resté peut-être sans les événemens qui le forcèrent d’aller chercher des protecteurs à Rome.

Ce goût qu’il avait pour les champs, ce plaisir qu’il trouvait à y vivre a dû nécessairement influer sur ses sentimens et ses habitudes. N’est-ce pas là par exemple qu’il a pris en partie son amour pour les choses d’autrefois ? D’ordinaire on respecte le passé au village, on y répète volontiers les vieilles maximes, on y conserve les mœurs antiques. Virgile aussi aime l’ancien temps, et, quand il en parle, on sent bien que son admiration vient de son cœur, qu’elle n’a rien de commandé. Tout lui plaît dans les souvenirs du passé, aucun détail ne lui semble indifférent ou grossier ; à l’exception « de la triste fermeté du premier Brutus, » qui blesse un peu cette âme tendre, il n’y veut rien effacer. Loin d’attaquer les vieux poètes, comme son ami Horace, il recueille pieusement leurs expressions et leurs tours de phrase, il les imite ou les copie pour se donner un air d’antiquité. La façon dont il passa ses premières