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qu’aujourd’hui. Ribbeck en Allemagne, Conington en Angleterre, ont publié d’excellentes éditions de ses ouvrages, M. Benoist nous a fait connaître dans la sienne les meilleurs travaux des critiques étrangers[1]. On a surtout mis en relief certaines qualités de son œuvre dont on s’était jusqu’ici moins occupé, en sorte que ce qu’il a perdu d’un côté, il le regagne de l’autre, et que sa réputation ne se trouve pas en somme avoir souffert. Je voudrais attirer l’attention sur un de ces mérites de Virgile, que la critique actuelle a sinon découvert, au moins mieux saisi et mieux indiqué qu’on ne l’avait fait encore. Elle a fait voir, et je vais montrer après elle, le caractère religieux de son œuvre et l’influence que le poète a dû exercer sur les croyances de ses contemporains. C’est un sujet d’étude qui intéresse à la fois l’histoire littéraire et politique de Rome.


I

On risquerait de mal comprendre la littérature du siècle d’Auguste, si l’on oubliait, en l’étudiant, les efforts qu’a faits ce prince pour ramener les Romains aux anciennes mœurs et aux vieilles croyances. Ce fut l’œuvre de toute sa vie. Il travailla pendant tout son règne à restaurer l’ancienne religion et à lui rendre l’autorité qu’elle avait perdue. Il rebâtit les temples, il rétablit les anciennes cérémonies, il accrut le nombre des prêtres et leurs privilèges, il rendit au culte tout son éclat. En même temps il tenait à ranimer dans tous les cœurs le goût du passé ; il en imitait les usages, il en vantait les vertus. Il promulgua des lois rigoureuses contre les excès du luxe et la licence des mœurs ; il punit durement les célibataires, les débauchés, les adultères. Il espérait avoir ainsi corrigé son siècle et rendu à la famille son importance et son antique pureté. « J’ai fait des lois nouvelles, dit-il fièrement dans l’inscription d’Ancyre. J’ai remis en honneur les exemples de nos aïeux, qui disparaissaient de nos mœurs, et j’ai donné moi-même des exemples dignes d’être imités par nos descendans. »

Ces tentatives de réformes religieuses et morales ont laissé des traces profondes chez tous les écrivains de ce temps. Non-seulement ils sont unanimes à en reconnaître la nécessité, à en vanter le mérite, à en prédire les heureux effets, mais ils se font tous honneur de les seconder. Tous, qu’on leur ait ou non demandé leur concours, travaillent à les faire réussir ; tous prêchent la vertu, tous chantent les dieux, et l’on peut dire qu’Auguste compte autant

  1. Cette édition, qui fait partie de la collection d’éditions savantes publiée par MM. Hachette, est aujourd’hui terminée. Le troisième volume, qui contient les six derniers livres de l’Enéide et les petits poèmes attribués à Virgile, a paru il y a quelques mois.