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bassin des sauriens. Lamarck ne craint pas[1] d’expliquer cette disparition des membres par l’habitude de ramper, de se glisser sous les pierres ou dans l’herbe, qui existe déjà chez les lézards ; il fait remarquer avec raison qu’un corps aussi allongé que celui d’un serpent n’aurait pas été convenablement soutenu par quatre pattes, nombre que la nature n’a jamais dépassé dans les animaux vertébrés. Un serpent rampe à l’aide de ses côtes, devenues des organes de progression. L’allongement exagéré du corps a produit l’amoindrissement de l’un des poumons, tandis que l’autre se prolonge jusque dans le ventre. Même chez les mammifères, les plus parfaits des animaux, les organes avortés et inutiles ne sont pas rares ; ainsi la plupart de ces animaux présentent les trois types dentaires, savoir des incisives, des canines et des molaires. Geoffroy Saint-Hilaire avait déjà remarqué que chez la baleine, où les dents sont remplacées par des fanons, les germes des dents existent dans l’épaisseur de la mâchoire du fœtus ; depuis, le même savant les a retrouvés dans le bec des oiseaux. Les ruminans ont un bourrelet calleux à la place des incisives supérieures, mais le germe des dents existe dans le fœtus. Il en est de même chez les lamentins, qui n’ont point d’incisives ni en haut ni en bas : se nourrissant uniquement de plantes marines, ils n’en faisaient point usage, et ces dents ont fini par disparaître.

Je terminerai en citant les organes avortés qui existent chez l’homme, et dont il peut tous les jours constater l’inutilité ; atrophiés faute d’usage, ils semblaient être aux yeux des anciens naturalistes autant de preuves de l’unité de plan qui a présidé à la création du règne animal. De même, disaient-ils, qu’un architecte soucieux de la symétrie met de fausses fenêtres qui forment le pendant des fenêtres véritables, ou rappelle sur les ailes d’un édifice les motifs de la façade principale, de même le créateur, en laissant subsister ces organes, nous dévoile l’unité du plan qu’il a suivi. Dans les idées de Lamarck et de ses successeurs, ces organes rudimentaires n’ont point cette signification purement intellectuelle ; ils se sont atrophiés faute d’usage. La présence de ces vestiges d’organes chez l’homme, auquel ils sont inutiles, prouve seulement que son organisation se lie intimement à celle du règne animal, dont il est la dernière et la plus parfaite émanation. Nous possédons sur les côtés du cou un muscle superficiel appelé peaucier ; c’est celui avec lequel les chevaux font vibrer leur peau pour chasser les mouches qui les importunent. Chez nous, le vêtement, chez les sauvages, les corps gras, la terre ou l’argile

  1. Tome Ier, p. 244.