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citerons la grande sirène lacertine, qui habite les marais fangeux de la Caroline du sud et passe une partie de sa vie enfoncée dans la vase. Cet animal a sur la tête deux petits yeux ronds recouverts d’une peau à demi transparente. Citons encore les cécilies, dont l’organisation se rapproche tant de celle des poissons, et le protée des lacs souterrains de la Carniole. Sur vingt individus, le professeur Charles Vogt a trouvé sous la peau le globe oculaire avorté de la grosseur d’une petite tête d’épingle, mais dépourvu de muscles et de ses membranes d’enveloppe : il a pu suivre le nerf optique jusqu’au cerveau[1] ; mais le docteur Joseph a disséqué un individu chez lequel ces dernières traces de l’organe de la vision avaient disparu.

Les poissons qui vivent constamment dans des eaux souterraines deviennent également aveugles. Ce fait s’observe dans tous les ordres de cette grande classe ; ainsi, chez les salmones, l’amblyopsis des cavernes de l’Amérique du Nord a des yeux microscopiques recouverts d’une peau non transparente ; parmi les silures, nous nommerons le silurus cœcutiens, quelques anguilles (aplerichys cœcus) et les myxinoïdes parasites. Les crustacés podophthalmes sont ceux qui, à l’instar des homards et des langoustes, ont un œil pédicule, c’est-à-dire porté sur un support mobile. Quelques-uns (troglocaris Schmidtii) sont aveugles : l’œil a disparu, le support est resté. Des crustacés appartenant à la section des entomostracés vivent en parasites sur d’autres animaux ; jeunes, ils nagent librement dans l’eau et sont munis d’yeux bien conformés ; mais, lorsqu’ils se cachent sous les écailles ou s’enfoncent entre les branchies des poissons, ils se trouvent dans la condition des animaux des cavernes : les yeux, ne fonctionnant plus, s’atrophient, et l’animal devient et reste aveugle toute sa vie.

Les insectes nous offrent les exemples les plus nombreux d’espèces aveugles habitant les cavernes, tandis que leurs congénères vivant à l’air libre ne le sont pas. Parmi les coléoptères de la famille des carabiques se trouve le genre trechux : ce sont de petits animaux se tenant habituellement sous des pierres ou des amas de feuilles mortes. Dans les grottes de la Carniole, on en compte quatre, qu’on a réunies dans le genre anophthalmus, mais qui ne diffèrent des autres que par l’absence des yeux. Il en est de même des catops, dont les espèces aveugles ont été distinguées par le nom générique d’adclops. Parmi les staphylins, il existe une espèce, le lathrobium spadiceum, dont les individus, vivant à l’obscurité dans les grottes de la Carinthie, portent à la place de l’œil disparu une tache

  1. Vom adriatischem Küstenlande (Illustrirte deutsche Monatshefte, 1870).