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constante de la lumière détermine même le déplacement de l’œil lorsqu’il est placé de façon à ne pas pouvoir remplir ses fonctions. En voici la preuve. Les raies sont des poissons carnivores, jouant dans les eaux le même rôle que les oiseaux de proie dans les airs ; leur corps aplati est horizontalement symétrique, et les deux yeux sont placés sur la face dorsale de la tête. Dans les pleuronectes[1], la plie, le turbot et la barbue, la symétrie est au contraire verticale, comme celle des poissons ordinaires ; mais, le corps étant aplati latéralement, ces poissons nagent sur le côté, se cachent dans le sable, couchés, la plie sur le côté gauche, le turbot sur le côté droit, et happent ainsi placés le fretin qui passe au-dessus d’eux. Dans les poissons adultes, les deux yeux sont situés l’un près de l’autre du côté de la tête qui regarde en haut ; cependant originairement, dans l’enfance, ces yeux sont l’un à droite, l’autre à gauche de la tête, comme chez les autres poissons ; mais avec l’âge l’œil situé du côté qui repose sur le sable, étant sans usage, se déplace et traverse les os du crâne pour venir faire saillie près de l’œil placé du côté éclairé de l’animal. C’est ce qui a été mis hors de doute par un zoologiste danois très distingué, M. Steenstrup[2]. Cette migration d’un organe inutile dans sa position normale, pour venir occuper une place où il puisse exercer ses fonctions, est un des faits les plus probans de l’action de la lumière sur l’économie vivante. Nous aurons la contre-partie de ce fait lorsque nous parlerons de l’influence d’une obscurité prolongée sur l’organe de la vue.

Il suffira de mentionner l’influence de la chaleur pour que le lecteur se remémore immédiatement les faits innombrables qui prouvent la puissance de cette forme du mouvement. Le sauvage qui adore instinctivement le soleil et le savant qui démontre que cet astre est la source unique de la chaleur et de la vie sur la terre en sont aussi convaincus l’un que l’autre. Tout organisme, pour se développer, pour vivre, pour se reproduire, exige une certaine température, supérieure à celle de la glace fondante ; le degré varie, mais au-dessus et au-dessous de certaines limites, fixes pour chaque espèce, tout s’arrête, tout meurt. Comparez en imagination les régions polaires, ensevelies sous un linceul de glace qui ne laisse à découvert que de petits intervalles revêtus d’une végétation uniforme de lichens, de mousses et d’herbes rabougries, avec la végétation luxuriante des contrées intertropicales où la chaleur, la lumière et l’eau conspirent pour activer les forces vitales de la plante. Là les fougères deviennent des arbres, et les arbres des géans. Comparez encore la faune terrestre des contrées

  1. Lamarck, t. Ier, p. 251.
  2. Observations sur le développement des pleuronectes (Annales des sciences naturelles, 5" série, t. II, p. 253, 1854).