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Bapaume dans l’ancienne Picardie, le 1er août 1744. Il était le onzième enfant de Pierre de Monet, seigneur de ce lieu, issu d’une ancienne maison du Béarn dont le patrimoine était fort modeste. Son père le destinait à l’église, ressource ordinaire des cadets de famille à cette époque, et le fit entrer aux jésuites d’Amiens. Ce n’était point la vocation du jeune gentilhomme. Tout dans sa famille lui parlait de gloire militaire. Son frère aîné était mort sur la brèche au siège de Berg-op-Zoom ; les deux autres servaient encore, et la France s’épuisait dans une lutte inégale. Son père résistait cependant à ses désirs ; mais lorsqu’il mourut, en 1760, Lamarck, libre de suivre son inclination, s’achemina sur un mauvais cheval vers l’armée d’Allemagne campée près de Lippstadt en Westphalie. Il était porteur d’une lettre écrite par une de ses voisines de campagne, Mme de Lameth, qui le recommandait au colonel du régiment de Beaujolais, M. de Lastic. Celui-ci, voyant arriver ce jeune homme de dix-sept ans qu’une Mme chétive faisait encore paraître au-dessous de son âge, l’envoya à son quartier. Le lendemain, une bataille était imminente. M. de Lastic passe la revue de son régiment, et voit son protégé au premier rang d’une compagnie de grenadiers. L’armée française était sous les ordres du maréchal de Broglie et du prince de Soubise ; les troupes alliées avaient pour chef le prince Ferdinand de Brunswick. Les deux généraux français, divisés entre eux, furent battus. La compagnie où se trouvait Lamarck est foudroyée par l’artillerie ennemie ; dans la confusion de la retraite, on l’oublie. Les officiers et les sous-officiers sont tués, il ne restait plus que quatorze hommes ; le plus ancien propose de se retirer. Lamarck, improvisé commandant, répond : « On nous a assigné ce poste, nous ne devons nous retirer que si on nous relève. » Heureusement le colonel, voyant que cette compagnie ne se ralliait pas, lui envoya une ordonnance qui se glissa par des sentiers couverts jusqu’à elle. Le lendemain, Lamarck était nommé officier, et peu de temps après lieutenant. Heureusement pour la science, ce brillant début ne devait point décider de son avenir. Envoyé après la paix en garnison à Toulon et à Monaco, une inflammation des ganglions lymphatiques du cou nécessita une opération faite à Paris par Tenon, mais qui lui laissa toute sa vie de profondes cicatrices.

L’aspect de la végétation des environs de Toulon et de Monaco avait éveillé l’attention du jeune officier : il avait puisé quelques notions de botanique dans le Traité des plantes usuelles de Chomel. Retiré du service, réduit à une modeste pension alimentaire de 400 fr., il travaillait à Paris chez un banquier ; mais, poussé irrésistiblement vers l’étude de la nature, il observait de sa mansarde les formes et les mouvemens des nuages, et étudiait les plantes au Jardin du Roi ou dans les herborisations publiques. Il se sentait dans sa voie, et