Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passe-temps que de se jouer de mauvais tours. « Je veux avoir la plus belle maison de la ville, se dit un jour le huguenot, tenté par le diable de l’orgueil, et non-seulement de la ville, mais de tout le Charolais, et on viendra voir de loin la maison de M. Jayet. Quelques-uns en crèveront de dépit, mais ce sera tant mieux, car j’ai entendu dire qu’il vaut mieux faire envie que pitié. » Et incontinent il se mit à faire bâtir un bijou de la renaissance tout brillant d’arabesques et de fines sculptures, avec des figures de chevaliers et des emblèmes féodaux au premier étage, avec des médaillons à l’italienne au second ; puis, cela fait, il signa l’œuvre de son portrait sculpté et de celui de sa femme, qui se présentent à l’intérieur, à l’entrée même du vestibule, comme pour souhaiter la bienvenue aux visiteurs. La femme est une bourgeoise qui aurait mérité de passer pour jolie dans toute condition ; le mari est un bourgeois à l’air goguenard, visiblement bon vivant et porteur d’un grand nez, bossue par le milieu, qui le fait ressembler à une parodie respectueuse de François Ier. — « Ah ! c’est comme cela, dit à son tour le catholique, eh bien ! moi, je ferai mieux ; je vais bâtir non pas une maison, mais une église, et je la placerai devant la maison de mon frère, et cette église lui enlèvera l’air et la lumière, l’écrasera et l’éteindra. « Il fit comme le lui suggérait la haine, et un énorme édifice dédié à saint Michel masqua pendant trois siècles la maison de son frère. La ville de Paray, leur héritière à tous deux, a gagné à cette haine un charmant hôtel de ville, plus de spacieux bâtimens pour sa justice de paix, ses comices et autres fonctions de sa vie sociale, et a pu s’épargner ainsi des frais d’édifices civils. Il eût été heureux que nos querelles religieuses eussent partout d’aussi aimables résultats.

L’ancienne église abbatiale de Paray est un superbe édifice dont l’architecture, calquée sur celle de Cluny, permet de juger en diminutif de quelques-uns des caractères de ce monument colossal. Nue sans froideur, robuste sans lourdeur, cette église nous démontre une fois de plus à quel point il est faux que l’architecture romane se prête moins bien que l’architecture gothique à l’expression du sentiment religieux. Cependant, en dépit de sa beauté, nous ne nous y arrêterons que pour remarquer la disposition du transept, qui la coupe en croix latine avec une netteté et une précision dont nous n’avons rencontré l’analogue nulle part ailleurs. De ses ornemens intérieurs, un seul lui reste, le riche dais gothique qui surmonte le monument funèbre, aujourd’hui vide, des anciens barons de Digoine, et, à la voir ainsi veuve de souvenirs, on dirait une princesse qui a conservé sa beauté en perdant mémoire de sa grandeur. Un tableau relatif à Marie Alacoque, que je rencontre dans une chapelle, me rappelle que c’est ici même à Paray qu’est née cette toute moderne dévotion du sacré cœur, qui a