Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

scrupuleusement respectée, et que c’est à cette circonstance qu’il faut attribuer son caractère de force et son air d’antiquité sévère qui frappent comme le spectacle d’une vieillesse robuste. Certains connaisseurs accusent assez justement de lourdeur la nef et le narthex ; mais nous qui nous soucions beaucoup moins du style que du sentiment, ce sont les parties de l’édifice qui nous plaisent le plus. On éprouve quelque chose comme un mouvement de respect craintif lorsqu’en entrant dans cette église on aperçoit ces colonnes énormes qui montent lentement vers la voûte, pareilles à des tours. Il règne dans cette nef une sorte de majesté baiijare rendue plus saisissante encore par le contraste du narthex, ou église des catéchumènes, profond et obscur vestibule, dont la voûte basse est soutenue par d’énormes piliers massifs et trapus à un tel degré qu’on ne les peut comparer qu’à des mastodontes primitifs symétriquement attelés au même écrasant fardeau. Si l’architecte avait voulu dire par hasard : la nef est la salle de prières de fidèles exhaussés par la foi jusqu’à la taille de géans spirituels, tandis que le lutrthcx est la geôle d’attente de pauvres fourmis humaines qui tâtonnent dans les ténèbres et dont l’erreur laisse encore les âmes dans leur taille de names impuissantes, il aurait vraiment réussi, car cette antithèse mystique naît tout naturellement dans l’esprit à l’aspect du contraste qui règne entre ces deux parties de l’édifice. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le remarquer en opposant ce narthex à celui de Vézelay, rien ne rend mieux le sentiment qui, dans l’église primitive, donna naissance à cette disposition architecturale ; c’est tout à fait un purgatoire visible pour des ânies qui, espérant se réunir à la communion des fidèles, attendent au sein d’un noir crépuscule l’aurore de la lumière de vérité. Pour nous qui demandons avant tout aux choses une émotion morale, le grand intérêt de cette église est surtout dans ce contraste entre la nef et le narthex, et dans le caractère de l’une et de l’autre ; mais elle offre en outre au curieux un certain nombre de dispositions singulières. Nous en citerons deux entre autres qui sont plus particulièrement remarquables ; la première est une église restée inachevée, bâtie au-dessus du narthex dans l’espace qui sépare les deux tours, comme un premier étage est bâti au-dessus d’un rez-de-chaussée. Les dispositions de cet entresol suivent exactement celle du narthex, et comme les parties qui ont été construites n’ont jnmais reçu leur revêtement, elles permettent de surprendre la structure intérieure de ces piliers massifs qui produisent en bas un si grand effet : c’est une simple maçonnerie en briques revêtue d’une épaisse cuirasse de mortier et de chaux. La seconde de ces curiosités est une crypte qui s’ouvre sur l’un des côtés de l’église à l’entrée du chœur. Elle a cela d’amusant qu’elle paraît interminable et qu’elle