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militaire, un commencement d’organisation, une direction. Tout manquait au premier instant dans le nord aussi bien et plus encore que dans l’est. Il y avait même des places dont l’armement n’était pas complet. Quant à des élémens militaires réguliers, il n’y en avait d’aucune espèce. Les forteresses étaient occupées par des mobiles, par des gardes nationaux, tout au plus par quelques détachemens de conscrits ramassés au hasard dans des dépôts. Les Allemands ne s’y méprenaient pas, ils voyaient que dans tous les cas ils avaient du temps devant eux, et voilà comment ils s’étaient avancés avec une imperturbable assurance jusqu’à Paris, se bornant à laisser des postes d’observation de l’Oise à la Normandie, attendant le moment de pousser plus loin l’invasion.

Malgré leur vigilance, ils se risquaient souvent beaucoup, ces implacables envahisseurs de la France, ils comptaient sur l’ascendant de la victoire et sur la désorganisation qu’ils rencontraient partout. On demandait à cette époque à des officiers prussiens s’ils ne craignaient pas d’être surpris en s’aventurant ainsi au milieu de toutes les lignes intérieures de la France, et ces officiers répondaient qu’ils n’avaient point d’inquiétudes sérieuses, que le temps de l’audace était passé pour les Français. Ils auraient pu dire tout au moins que le temps du bonheur était passé pour nous ; mais si l’invasion avait pour elle l’audace et le bonheur, sans parler de la dangereuse et impitoyable habileté de ceux qui la conduisaient, elle avait encore plus d’un combat sanglant à livrer, et même dans ces contrées du nord, du nord-ouest, où tout semblait pour le moment immobile, sur cette longue ligne qui va de la basse Seine à la Meuse en passant par Amiens, par Saint-Quentin, elle allait rencontrer une certaine résistance facile à vaincre sans doute en Normandie, plus tenace dans le nord proprement dit. Ici l’invasion allait trouver un adversaire assez habile pour lui opposer, à l’abri de ses fortes positions, une méthodique stratégie. En un mot, ce que Chanzy essayait sur la Loire et sur la Sarthe, ce que Bourbaki poursuivait dans l’est, le général Faidherbe le tentait à sa manière dans le nord. C’est encore un des épisodes de cette guerre tourbillonnant autour de Paris muet, retranché du monde et attendant la délivrance dans ses lignes hérissées de feux.

 
I

La campagne du nord ne commençait par le fait qu’aux derniers jours de novembre 1870, à la chute d’Amiens, le premier des postes de la Somme tombé au pouvoir de l’ennemi. Que s’était-il passé jusque-là dans les deux camps ?