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de mousses claires et d’herbes pâles, seule végétation que puisse porter ce sol maigre, est comme troué çà et là par quelque pointe ou quelque sommet de rocher qui perce hors de terre. Tout en haut de ce coteau sauvage se présente un mur à demi ruiné qui entoure une plantation d’ifs, de sapins, de cyprès, qu’on ne s’étonne pas de voir en telle solitude, car ces vivans emblèmes de mort croissent de préférence là où rien ne peut pousser, et leur altière stérilité recherche par sympathie naturelle les terres désertes et infertiles. Le lieu est tellement bien disposé pour les monumens de la mort, et fait naître si naturellement les pensées lugubres que, n’apercevant pas d’abord la maison de campagne du commandant Noisot, masquée qu’elle est par cette sombre plantation, j’ai pris cet enclos pour le cimetière de la bourgade de Fixin. Si ce n’est pas tout à fait un cimetière, cela n’en diffère pas de beaucoup. Le petit parc est disposé en étages, reliés entre eux par des allées sinueuses ; à chacun de ces étages, une chambre de verdure abrite le souvenir d’un mort. Au premier se présente le monument funèbre de Napoléon, au second une petite colonne commémorative, surmontée du buste de Rude et élevée par un de ses élèves reconnaissans, et enfin au troisième la tombe même et le buste du commandant Noisot, qui a voulu être enterré dans ce parc, dont il a fait cadeau à la bourgade de Fixin, en ne se réservant que les six pieds de terre qui lui étaient indispensables pour attendre le jour du jugement.

Tout à l’heure dans la statue de M. Jouffroy nous contemplions une œuvre originale et élégante ; mais ici nous sommes en présence d’une œuvre de génie. L’idée foncière de ce monument, idée forte, vibrante, sublime, aussi vraie philosophiquement qu’elle est émouvante poétiquement, — au moins pour les âmes qui sont capables d’en sentir la beauté, — est la même que nous admirons dans la Symphonie héroïque de Beethoven. Vous rappelez-vous le contraste étrange qui règne entre les deux parties de cette œuvre ? A une première audition, cela frappe comme un désaccord, et il semble que ces deux morceaux appartiennent à deux œuvres de caractère différent associés par un caprice d’une audace presque choquante ; mais bientôt ce contraste apparent nous révèle sa divine et vraiment héroïque harmonie. A peine est-il besoin de rappeler le sens de la première partie, car il est tellement saisissable qu’il s’imposerait même aux oreilles les plus rebelles. Qu’entendons-nous dans ce tumultueux andante, sinon le vacarme ardent du combat de la vie, tapage presque anarchique dans la brusque succession de ses accens et dans la variété infinie de ses clameurs, voix impérieuses, appels désespérés, chants d’allégresse, plaintes de vaincus, cris de colère, paroles d’exhortation ? Mais un son lugubre a retenti ; c’est le héros qui vient de tomber frappé, et