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couronne qu’il vient e ceindre pour la poser sur sa tête ; sur les côtés apparaissent quelques dignitaires de la cour naissante, et par, derrière, immobiles et impassibles, se tiennent le souverain pontife et les prélats qui l’assistent. On dirait une scène du moyen âge sous des costumes modernes ; pour la composer, l’artiste s’est très habilement souvenu de ce que nous appellerons ses lectures de statuaire. Nous en dirons autant du premier bas-relief, dans lequel M. Jouffroy nous parait s’être inspiré des charmantes sculptures de la façade du palais ducal de Nevers représentant la chasse de saint Hubert et l’histoire du chevalier du Cygne, sculptures qu’il a lui-même restaurées et comme recréées avec un soin et un goût qu’à mon avis on n’a pas assez loués.

Par une coïncidence assez singulière, les deux monumens les plus originaux qu’ait inspirés Napoléon, cette statue de Bonaparte adolescent et le monument funèbre de Rude, se trouvent placés presque côte à côte dans ces mêmes régions où les souvenirs de 1814 et de 1815 ont laissé des traces plus profondes et où la résistance aux alliés fut plus vive peut-être que partout ailleurs. L’histoire de ce dernier monument, qui n’a aucun caractère officiel et qui est l’œuvre d’une simple fantaisie individuelle, est intéressante et curieuse. A Fixin, non loin de Dijon, tout près de la côte où croît le fameux chambertin, vivait naguère encore un vétéran des campagnes de l’empire, M. Noisot, commandant des grenadiers de la garde, un des assistans des adieux de Fontainebleau. Possesseur d’une fortune qui lui permettait une assez large aisance, il conçut, entre les années 1840 et 1845, la pensée d’élever un monument funèbre à la mémoire de son empereur au sein même de sa propriété. Ce monument fut-il un acte spontané de sa piété militaire ? C’est possible ; cependant, comme il se rapproche singulièrement par sa date de la translation des cendres de Napoléon en 1840, je serais assez porté à croire que c’est à cet événement, qui aura redonné une vivacité nouvelle aux souvenirs assoupis du vieux soldat, qu’il en faut rapporter l’origine première. Quand les pensées sont nobles, hautes et bien venues dans leur principe, il est très rare qu’elles ne trouvent pas un cadre, des instrumens, une forme dignes d’elles ; il en fut ainsi pour l’inspiration du commandant Noisot. Il possédait tout ce qu’il fallait pour que sa pensée fût réalisée avec grandeur, c’est-à-dire un ami qui s’appelait Rude et une propriété qui par son caractère se prêtait merveilleusement à servir de cadre à un monument funèbre. Nul paysage plus morose en effet. Pour atteindre à cette propriété, on gravit pendant près d’un quart d’heure un sentier pierreux, escarpé, difficile, dessiné d’une manière informe, qui déchire ou plutôt ravine le flanc d’une colline d’aspect chagrin, quasi misanthropique, dont le tapis