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rare que cet édifice ait le privilège d’intéresser fortement, si beau qu’il soit. Or il y a dans le monde quantité de choses autrement belles que Notre-Dame d’Auxonne, et, sans sortir de la Bourgogne, cette église n’a rien qui puisse la mettre sur le même rang que les églises d’Auxerre, de Vézelay, d’Autun, de Beaune, de Pontigny, de Dijon. Les amateurs de curiosités architecturales signalent une déviation assez prononcée du côté gauche de la nef, déviation qui, disent-ils, a pour but de reproduire l’inflexion du Christ sur la croix ; mais ce n’est là qu’une singularité de nature amusante et non pas une beauté. Tout ce qui me plaît de cette église, c’est son porche gothique bizarrement posé de biais et richement orné, à tous les étages de ses colonnes, d’un peuple de prophètes et d’apôtres. Un détail curieux et bon à noter pour les archéologues m’a frappé pendant que je me promenais sous ce porche en examinant ses statuettes : c’est que celles qui représentent les images de Moïse, d’Isaïe, de Zacharie et de Daniel sont les copies exactes des admirables prophètes du puits de Moïse de Claux Slutter, fait qui, ajouté aux figurines du célèbre retable déposé au musée de Dijon, sert à démontrer de quelle popularité a joui en Bourgogne, presque dès sa création, l’œuvre de l’imagier de Philippe le Hardi. Sans doute, Notre-Dame d’Auxonne ne mérite pas autant de froideur, et peut-être étions-nous en mauvaise disposition, ce qui serait excusable, car il nous a fallu pendant deux jours contempler cette église abrité sous un parapluie. S’il en est ainsi, il se trouvera certainement un autre voyageur pour l’admirer avec plus d’enthousiasme qu’il ne nous est possible de le faire.

Un embryon du musée a été installé dans une petite salle attenante à la bibliothèque publique, laquelle par parenthèse est un joli petit édifice bien conçu qui n’a que le tort de faire croire à un théâtre, et qui est l’œuvre d’un architecte de talent porteur du nom bizarre de Phal-Blando. Ce musée embryonnaire contient plusieurs objets intéressans, parmi lesquels il faut citer en première ligne un portrait de Jean sans Peur, débris échappé de quelque ruine du voisinage, mais dont on n’a pu m’indiquer la provenance exacte. Il serait cependant intéressant d’en connaître l’origine et de pouvoir en constater l’authenticité, car il diffère sensiblement de tous les autres portraits existans du duc tant pour l’âge que pour les traits. Jean nous y est représenté dans la toute première fleur de l’adolescence, avant même qu’il fût d’âge à commander la chevaleresque équipée de Nicopolis. C’est un tout à fait joli garçon qui reproduit exactement, mais en très beau, les traits de son père Philippe. Impossible d’y découvrir le plus petit germe de cette physionomie de dogue hargneux que nous lui voyons dans les portraits de son âge mûr, où, coiffé de son affreux bonnet de forme phrygienne, ce