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il faudra bien arriver à une conclusion, et, si nous ne voulons pas qu’ils fassent la paix, il semble juste qu’on leur donne les moyens de continuer la guerre. Que faire donc ? Avec une sagacité profonde, Jeannin découvrit dès le début de ces longues négociations le moyen terme qui pouvait le mieux tirer d’embarras les provinces-unies, une trêve à longue échéance. Il était évident que, si on traitait d’une paix définitive l’Espagne voudrait l’imposer à des conditions trop dures, et que les provinces-unies, ou bien se rendraient trop facilement, ce qui rallumerait la querelle à court délai, ou bien rompraient les négociations, ce qui remettrait les choses dans l’état d’où on voulait sortir. En négociant une trêve à long terme au contraire, l’Espagne se montrerait plus coulante ; les provinces-unies obtiendraient le repos dont elles avaient besoin, et leur avenir serait assuré beaucoup mieux que par une paix toujours prête à être rompue, assuré par l’ennemi lui-même, qui consentirait facilement à ajourner ses espérances, sans s’apercevoir que le temps aurait la puissance de changer le provisoire en définitif.

Ce ne fut pas sans peine que ce moyen terme fut accepté, car personne n’en voulait. L’oligarchie bourgeoise des provinces-unies y répugnait, parce qu’elle aspirait avec ardeur à quelque chose de définitif. Maurice de Nassau n’y tenait pas plus qu’à la paix, car l’une et l’autre avaient le même inconvénient pour lui, celui de laisser le pouvoir aux mains de l’oligarchie bourgeoise et de le faire rentrer dans un clair-obscur dont son âme froide et terrible goûtait peu les douceurs. Henri IV résistait singulièrement, et son raisonnement, très ferme et très royal, était celui-ci : une longue trêve aura pour eux tous les inconvéniens de la paix sans en avoir la sécurité ; ils vont s’amollir durant cet intervalle dans la richesse, le travail pacifique, le loisir, et, quand ils auront fait œuvre de marchands pendant douze ou quinze ans, ils seront incapables de retrouver leur énergie et de redevenir des soldats. L’Espagne n’en voulait pas, se doutant bien que le temps, dans l’intervalle, se chargerait de la désarmer, et elle ne consentait qu’à une trêve à court délai. Enfin le second médiateur entre les deux belligérans, le roi Jacques Ier d’Angleterre, repoussait absolument la trêve comme inefficace, et se prononçait pour la paix, parce qu’il espérait que la paix serait acceptée telle quelle, et livrerait pieds et poings liés la Hollande, qu’il aimait peu, à l’Espagne, dont il convoitait l’alliance. Il fallut pourtant se rendre au bout de deux ans de chicanes, de querelles, de propositions acceptées et abandonnées, de négociations rompues et reprises. Jeannin triomphait triplement, d’abord parce que cette trêve était son œuvre plus que celle d’aucun autre négociateur, en second lieu parce qu’il rendait le repos à la Hollande par le moyen et au nom de son maître, enfin parce qu’il