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et l’organe, c’était un homme de leur trempe et de leur condition, qui pût leur parler comme à des égaux et qui eût pour eux la déférence amicale, familière, bien intentionnée, qu’on a toujours pour ses pairs, qui en un mot connût d’instinct, comme par savoir de naissance et expérience de consanguinité, les moyens de leur résister et de les séduire. Or nul parmi les conseillers du roi ne réalisait mieux ce personnage que Jeannin. Un tel choix dans de telles circonstances est un de ces mille détails auxquels nous reconnaissons la fine sagesse et l’admirable esprit politique de Henri IV.

La personne de l’ambassadeur était si bien appropriée aux circonstances que sa mission eut un succès complet. Non-seulement Jeannin revint négociateur heureux, mais il revint l’homme le plus populaire qu’il y eût en Hollande en l’an 1609, et presque considéré comme un concitoyen par les habitans des provinces-unies. Cette popularité n’a rien qui nous étonne. Il est évident que Jeannin s’était senti comme en famille au milieu de ces bourgeois lettrés et opulens avec lesquels il pouvait discourir de droit international en citant Cicéron, auxquels il pouvait proposer ses expédiens diplomatiques en citant Horace. Nous venons de lire durant ces derniers mois la plus grande partie de ses dépêches ; l’impression qu’elles nous laissent est qu’il servit presque autant la cause des provinces-unies que les intérêts de Henri IV, et qu’il conseilla Barneveldt beaucoup mieux que celui-ci ne se conseillait lui-même. Quand il arriva en Hollande, il trouva Barneveldt et derrière lui toute l’oligarchie bourgeoise des provinces-unies prêts à conclure avec l’Espagne une paix telle quelle. Le premier soin de Jeannin fut de relever le courage de Barneveldt et de le dissuader de livrer les destinées de son pays aux chances d’une paix inconsidérée. Les provinces-unies, lui disait-il, ne peuvent faire une paix trop facile, car une telle paix serait une conclusion sans dignité d’une lutte si longue et si acharnée, et révélerait à l’adversaire une lassitude dont il ne manquerait pas de tenir compte pour recommencer l’agression à l’heure qu’il choisirait lui-même, lorsqu’il aurait suffisamment réparé ses forces ; elles ne peuvent pas non plus faire la paix à elles seules, car elles sont engagées par reconnaissance envers le roi de France, qui les a secourues de ses hommes et de son argent. En ce cas, c’est la guerre, répondait invariablement Barneveldt ; soit, donnez-nous alors les moyens de la continuer ; ce sera par chaque année tant de milliers d’hommes et tant de millions d’écus. À ces propositions, le roi bondissait : Je ne donnerai, écrivait-il en substance à Jeannin, ni autant d’hommes ni autant d’écus ; ce sera le cinquième, le quart, le tiers tout au plus, mais sur de bonnes garanties et des engagemens formels. — Cependant, répliquait Jeannin respectueusement et avec toute sorte de circonlocutions prudentes,