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le roi de la superbe, qui est apposé au roi de l’humilité, Jésus-Christ, — que les deux coqs qui se battent sont les passions humaines en lutte attisées par les démons, et que l’homme qui lutte contre un griffon représente un personnage allégorique nommé le Macrobe, c’est-à-dire l’homme à la longue vie, qui met à mort le monstre, gardien jaloux de la vérité. La plupart de ces allégories sont fort ingénieuses, comme on le voit, mais la dernière est admirable, et porte plus loin encore que ne me le dit l’enthousiaste chanoine qui m’ouvre le sens de ces sculptures. Je ne puis m’empêcher de songer longuement devant ce Macrobe qu’en effet la plus grande source de nos erreurs vient de la brièveté de notre existence. La recherche individuelle à peine commencée est interrompue par la mort, la vérité dévoilée se dénature après la mort du révélateur, ou même quelquefois disparaît sous l’oubli, chaque génération successive a sa part de ténèbres à traverser, et aucune n’a jamais joui d’une lumière sans ombre ; en nous disputant les jours, le temps avare met la vérité à l’abri de nos atteintes. Celui qui pourrait enchaîner le temps et le faire esclave, de tyran qu’il est, celui-là posséderait la vérité ; mais qui peut disposer du temps ? L’âme, puisqu’elle est éternelle de sa nature, répond le philosophe, — l’humanité, puisque sa vie s’augmente d’une nouvelle période avec chaque génération, répond le moderne rêveur ; la réponse de cette vieille sculpture est, je le crois, fort différente : le véritable Macrobe, c’est l’église du Christ, puisqu’il lui a été promis une vie aussi longue que celle de la terre, et que, disposant des jours, la longue suite de ses efforts doit enfin triompher de la bête qui interdit aux hommes la possession de la vérité.

Ces sculptures des chapiteaux de Saint-Lazare se composent donc en partie de scènes historiques, en partie de scènes allégoriques, qui se rapportent aux mystères abstraits du monde métaphysique, ou aux prophétiques espérances des âmes chrétiennes. Scènes historiques et scènes allégoriques s’opposent, se combinent, se complètent, et enfin se réunissent dans la synthèse d’une doctrine générale dont il est plus facile de sentir l’existence que de déterminer la nature. Selon l’auteur que nous avons cité, le lien général de ces sculptures se rapporterait aux persécutions que l’église a subies déjà et à celles qu’elle doit subir encore dans le cours des siècles. Généralisons encore davantage cette idée, et disons que ce qui nous apparaît dans cette suite de bas-reliefs, c’est l’histoire de la lutte du bien et du mal continuée à travers toute la chaîne des temps depuis la création de l’homme jusqu’à la consommation des jours, ou, pour mieux dire et pour serrer de plus près la doctrine que nous croyons apercevoir, la lutté du vrai bien et du faux bien, le vrai bien concentré dans l’unique christianisme, le