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à cette architecture de transition dont Notre-Dame de Beaune nous a offert déjà un si beau spécimen. Comme nous avons décrit, en parlant de cette dernière église, le genre particulier de sensations que nous faisait éprouver cette architecture intermédiaire, nous n’avons point à y revenir, et nous préférons insister sur les parties qui sont plus spécialement propres à Saint-Lazare, et que nous ne pourrions retrouver ailleurs. Or la partie tout à fait originale de cette église est celle des sculptures et des ornemens dont on ne trouve pas l’analogue, même à Vézelay, pour la richesse, la variété, le soigneux travail, la fantaisie d’imagination et la profondeur de pensée. Les premières et les plus considérables de ces sculptures sont celles du porche, un des plus beaux d’ordre roman que nous ayons encore vus. Ce porche, auquel on arrive par un escalier vaste et haut, présente trois portes, séparées entre elles par des colonnes dont les ornemens infiniment variés, palmes, feuillages exotiques, bandes et lanières ciselées, amusent longtemps le regard. Autour du pilier du milieu se présentent groupées trois figures étranges qui frappent comme des rêves sculptés. Ces trois figures sont celles de Lazare le ressuscité et de ses sœurs Marthe et Marie. Ce sont trois longs corps maigres et fluets, surmontés de trois visages pâles et tristes dont le regard plonge dans le monde des songes et dont les traits creusés sont comme frappés d’extase. La figure de Lazare surtout, qui occupe le centre du groupe en vêtemens pontificaux, — on sait que, selon une tradition légendaire, saint Lazare fut le premier évêque de Marseille, — est tout à fait celle d’un homme qui vient de se réveiller du sommeil de la mort et qui a traversé les effrois du monde invisible. Je n’ai rien vu d’aussi mystique et qui m’ait rendu aussi vif le sentiment religieux du moyen âge que ces trois fantômes, œuvre d’un art visionnaire. Cela ressemble à ces ombres de pensées, fuyantes comme des nuages, mais invariablement tristes, qui passent à la surface de l’âme lorsque, sous le coup d’une préoccupation douloureuse, elle se plonge, pour parler comme Shakspeare, dans la mer de la mélancolie ; c’est la seule analogie que je puisse trouver parmi les phénomènes de notre vie morale moderne pour faire comprendre quelque chose du sentiment de ces sculptures. Le nom de l’auteur de ce groupe est inconnu : peut-être est-ce ce même Gislebert ou Gilbert, auquel on doit les sculptures du tympan, peut-être est-ce un certain moine Martin qui s’était fait admirer, paraît-il, pour les sculptures du tombeau consacré aux reliques de saint Lazare[1].

Le tympan du grand portique représente la scène du jugement

  1. Malheureusement ce groupe, sous sa forme actuelle, n’est qu’une reproduction faite avec intelligence sur les indications restantes de l’œuvre primitive.