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d’une ville est un édifice dont il ne reste pas le moindre débris, et pourtant rien n’est plus exact. Ce théâtre, sans constructions, est la perle d’Autun, le véritable fleuron de sa couronne antique, et l’une des choses les plus originales que nous ayons vues. Vous rappelez-vous certain charmant vestige humain trouvé à Pompéi, ce sein d’une danseuse surprise par la lave qui a laissé son empreinte dans la cendre durcie, à peu près comme les feuillages des végétaux primitifs et les coquilles des mollusques de la première création ont laissé leurs figures dans les blocs de houille ou dans les dessins des marbres et des pierres ? Le théâtre romain d’Autun est, comme le sein de la danseuse de Pompéi, une empreinte, et rien de plus. Là où il s’élevait verdoie maintenant une prairie, mais cette prairie garde la forme circulaire et descend pour ainsi dire de gradin en gradin jusqu’au tapis vert de la petite plaine en demi-lune qui fut autrefois son arène. Rien de plus immatériellement gracieux ; la nature s’est chargée de faire passer à l’état de forme pure et insubstantielle, à l’état d’âme sans corps, ce qui fut une très concrète et très massive réalité. Elle a complété ainsi ou, pour mieux dire, métamorphosé de la manière la plus poétique l’œuvre de destruction des hommes. L’histoire de cette destruction rappelle quelque peu le méfait que la population romaine a reproché aux Barberini dans un vers resté célèbre. Il était encore debout dans la seconde moitié du XVIIe siècle, et ses pierres servirent alors à bâtir le petit séminaire, vaste construction qui n’en est séparée que par une promenade dont les sièges ont été formés avec les marbres et les blocs de pierre tirés des décombres. Quant aux pierres sculptées et aux ornemens, la municipalité autunoise les a utilisés en en faisant construire une petite maison dont les murailles ressemblent ainsi à un échiquier aux figures variées et bizarres.

Voilà, en y ajoutant quelques débris précieux recueillis au musée d’Autun, — une belle mosaïque découverte il y a une quarantaine d’années, une petite statue de gladiateur trouvée plus récemment et transportée au musée du Louvre, — tout ce qui reste pour raconter la splendeur romaine de cette ville. Moins nombreux encore sont les témoins de ce christianisme primitif qui fleurit simultanément avec la période romaine, et se prolongea sous la période mérovingienne jusqu’à l’agonie d’Autun, c’est-à-dire jusqu’au VIIIe siècle. La vie chrétienne que nous raconte la cathédrale de Saint-Lazare est très curieuse, très mystique, un peu occulte et cabalistique ; mais, bien des siècles avant qu’elle fût édifiée, Autun avait été le foyer d’un christianisme autrement puissant, autrement fécond, autrement héroïque. Rien plus ici ne nous parle de saint Germain, de saint Syagre, surtout de ce grand saint Léger, l’adversaire d’Ébroïn, qui donna sa vie pour soutenir le triomphe des idées