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lassante pour l’œil, qui dépare d’ordinaire le panorama des plus belles villes. Soit qu’on y entre par la plaine en descendant du chemin de fer, soit qu’on la regarde de la pittoresque cascade de Brise-Cou en revenant du château de Montjeu, on la découvre gravissant sa colline, non avec vivacité et furie comme Joigny et Tonnerre, non avec une difficile énergie comme Montbard et Vézelay, mais avec une sorte de sage et tranquille lenteur, et comme en prenant des temps de repos marqués par des étages assez nettement tracés. Le coup d’œil est vraiment superbe, mais ce devait être une féerie lorsqu’en place de ces modernes bicoques brunes et grises, si mornes au regard, elle présentait l’éclatante blancheur des marbres de ses temples, les colonnades lumineuses de ses thermes, de ses palais et de ses portes, et les gaies couleurs de ses villas antiques. De tous ces points de vue cependant, le plus remarquable, et celui qu’il faut avant tout autre recommander aux curieux, est celui qu’on a de la plaine en se plaçant hors de la large voie qui mène à l’hôtel de ville. De là le double passé de la ville se résume avec une éloquente concision par deux monumens qui se font face, l’un mutilé, solitaire et comme à jamais vaincu, l’autre entier, robuste, triomphant encore au sein de la vie. Devant vous, au faîte de la colline, se dresse la masse vigoureuse de la cathédrale de Saint-Lazare, presque aussi distincte que si l’on était à ses pieds ; par derrière vous se présente le carré étroit et haut du temple de Janus. Ainsi le spectateur embrasse d’un seul regard l’histoire entière d’Autun : le temple de Janus, voilà l’ancienne vie païenne, si luxueuse et si prospère ; Saint-Lazare, voici la seconde existence d’Autun, la vie non de réparation, mais de consolation, qui remplaça une prospérité détruite avec un acharnement cruel par tous les barbares du monde, depuis les paysans bagaudes jusqu’aux pirates normands. Un tel contraste non-seulement plaît au regard, mais fait penser, Que ce temple de Janus est petit et paraît mesquin en regard de l’immense cathédrale, et qu’il semble bien nous dire par le peu d’espace qu’il recouvre combien peu de place tint le paganisme romain dans la vie populaire des Gaules ! Aujourd’hui l’Arroux le parque dans sa solitude rustique comme pour le séparer à jamais de la vie moderne avec laquelle il n’a plus aucun rapport ni prochain, ni éloigné. À ce superbe paysage architectural, ouvrage des hommes, la nature a prêté un cadre digne du tableau. Un cercle de hautes montagnes largement dessiné ferme l’horizon à une distance qu’on dirait mesurée avec exactitude pour faire naître le double sentiment de la proximité et de l’éloignement ; plaine et montagnes forment ainsi un des plus majestueux amphithéâtres qu’on puisse voir. Cet horizon dut plaire beaucoup aux Romains, car il était fait pour leur rappeler quelques-uns des paysages de