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Quand l’ordre du départ arriva enfin, Hoff réussit à faire partie du premier convoi ; mais dans quel état d’abaissement trouvait-il la France ! A la guerre étrangère avait succédé la guerre civile. Autour de Cambrai, où le train s’arrêta, le général Clinchant formait en toute hâte avec les captifs d’Allemagne un corps d’armée qui devait marcher sur Paris. Les nouveau-venus furent inscrits dans des régimens provisoires ; trois jours après, on partait pour Versailles.

Les natures simples et rudes ont parfois une sensibilité exquise, une délicatesse de cœur qu’on chercherait en vain chez les hommes de classes plus élevées. En voyant de si tristes choses, le pauvre Hoff fut pris de désespoir. Que lui importait la vie, puisque son pays semblait perdu, puisque son zèle avait été inutile, puisque son bras était armé encore et ne pouvait plus frapper les Prussiens ? Il se trouvait alors au-devant d’Issy ; il avait résolu de se faire tuer, mais l’occasion ne se présentait pas. Du haut des forts et des remparts, les fédérés faisaient plus de bruit que d’ouvrage et brûlaient leur poudre au vent. Dans Paris cependant, la lutte devint plus sérieuse ; chaque position, chaque coin de rue était défendu pied à pied, et les insurgés, se voyant perdus, résistaient en désespérés. Rue de Lisbonne, près de la gare Saint-Lazare, Hoff s’était élancé résolument à l’attaque d’une barricade ; il marchait seul, en tête, bien à découvert, encourageant ses hommes et cherchant la mort : il ne la trouva pas, mais il reçut une balle, une balle française, qui lui fracassa le bras gauche. La blessure était grave ; il fut soigné d’abord à l’hôpital Beaujon, et de là, avec d’autres blessés, expédié sur Arras, où il passa plus d’un mois en convalescence.

Dès qu’il revint, à peine guéri et le bras encore en écharpe, il se rendit aux bureaux des divers journaux qui avaient fait courir sur lui la triste histoire que l’on sait. Quelques personnes bien connues l’accompagnaient ; sa blessure d’ailleurs parlait assez d’elle-même. L’accueil qu’il reçut fut des plus courtois : on s’excusa du malentendu ; on rejeta la faute sur les reporters aux abois, sur la difficulté de contrôler les nouvelles, sur cette manie de voir partout des espions qui fut comme une des épidémies du siège ; on lui promit une réparation éclatante, et le jour même, dans les feuilles du soir, parurent plusieurs articles qui rendaient pleinement justice au courage et à l’honorabilité du brave sergent. Lui, peu méchant après tout, se tint pour satisfait. Par malheur, en ce moment tous les esprits étaient distraits par les terribles événemens dont la France venait d’être le théâtre. Paris était presque désert. Beaucoup, qui avaient lu la grande trahison du sergent Hoff, ne connurent pas en province les preuves qui le réhabilitaient. En France d’ailleurs, on se lasse vite de l’admiration ; nous n’aimons pas trop