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d’Hernani et le Saint-Vallier du Roi s’amuse[1]. Seulement, pour ne pas faire tort à Richelieu, pour ne pas sacrifier les grandes choses de notre histoire à l’imprudente invective du poète, il faut relire, après le discours du vieux Nangis, une scène très belle de la Diane de M. Emile Augier, une scène tout à fait historique, la scène du quatrième acte entre Louis XIII et Richelieu. Voilà le vrai Richelieu et le vrai Louis XIII ; je dis vrais selon les convenances combinées de l’histoire et de la poésie. Tous les deux, le roi et le ministre, ils ont servi la France, le ministre en dominant le roi, le roi en se résignant au joug du ministre.

On pourrait suivre l’idée que j’indiquais tout à l’heure et montrer que tous les personnages de Marion Delorme, maladroits ou ridicules quand ils agissent, se relèvent dès qu’ils parlent. Est-ce que la conduite de Marion n’est pas un défi au sens commun ? Elle a quitté brusquement Paris, elle s’est réfugiée à Blois, pourquoi cela ? Sans doute pour rompre des liens qui désormais lui sont odieux, pour aimer d’amour vrai ce fier jeune homme qui croit à sa vertu, pour se refaire une âme par cette affection pure, enfin pour se cacher à tous les regards et commencer une vie nouvelle. Rien de mieux ; seulement, dès la première scène, l’auteur oublie son programme. Dans cette paisible cité provinciale, nous avons déjà vu ce que Marion imagine ; elle fait venir Didier chez elle à l’heure où tout repose, où le moindre bruit est un indice accusateur, où sonnent les douze coups de minuit, et c’est en escaladant la fenêtre que Didier doit pénétrer chez la vestale. Bien plus, quelques minutes avant l’arrivée de Didier, un autre gentilhomme était sorti par le même chemin. Voilà comment Marion, la convertie, comprend la solitude et la vie cachée ! Marion n’est pas moins étrange au troisième acte lorsque, pour échapper à la police de Richelieu, elle s’engage avec Didier dans une troupe de comédiens. Plaisante façon de se dérober ! Ces comédiens courent la campagne dans le pays même où on cherche les deux fugitifs. Il ne se passera pas un jour avant que le secret soit connu. Oubliez toutes ces contradictions, pardonnez toutes ces maladresses, et voyez aux derniers actes le rachat de la créature dégradée, le rachat de Marion Delorme par l’amour et le sacrifice. Quels accens de passion ! quel sentiment de sa honte ! quel dévoûment à celui qu’elle aime !

Frappe-moi, laisse-moi dans l’opprobre où je suis,
Repousse-moi du pied, marche sur moi, mais fuis !


Un seul personnage, soit qu’il parle, soit qu’il agisse, est fidèle à la logique de son rôle, c’est le marquis Gaspard de Saverny, jeune fou, tête et cœur à l’évent.

Avec des caractères ainsi conçus, est-il besoin de dire ce que peut être l’action ? L’action est nulle. Il y avait certes un sujet de drame

  1. On sait que le drame de Marion Delorme, représenté en 1831, avait été terminé en juin 1829, quelques mois avant Hernani.