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-sonniers qui furent internés dans divers camps de l’Allemagne et qui de leurs propres yeux auraient lu l’affiche, la tête de Hoff avait été mise à prix pour plusieurs milliers de thalers. On lui reprochait de faire la guerre d’une façon déloyale, non en soldat, mais en assassin. À ce compte, que penser des Bavarois qui le matin de Villiers levèrent la crosse en l’air comme s’ils voulaient se rendre, laissèrent approcher les nôtres et les mitraillèrent à bout portant ? Que penser aussi de ceux qui, en bas du plateau d’Avron, partagés en deux lignes, pour mieux tromper nos mobiles, tiraient à blanc les uns sur les autres et simulaient un engagement entre Français et Prussiens ? Au bon moment, ils se retournèrent et firent feu tous ensemble. Ce sont ruses permises après tout, et nous ne nous en indignerons pas. Dès l’instant qu’on admet la guerre, il faut l’admettre dans toute son horreur, faite de haine et voulant tuer. Jusque-là donc, nos ennemis demeuraient logiques ; mais où l’on a mauvaise grâce, c’est lorsqu’en étant si peu scrupuleux pour soi-même on voudrait exiger d’autrui la générosité, la grandeur d’âme, toutes belles vertus qu’on ne pratique pas. Quoi qu’il en soit, Hoff passa trente jours entiers à la citadelle de Cologne ; plongé dans un cachot de six pieds sur quatre et nourri au pain et à l’eau, sans même qu’il lui fût permis de changer de linge. On le pressait de questions, mais il persistait à n’avouer rien. C’est alors qu’une lettre arriva pour lui au camp de Grimpert. Lui-même, dès les premiers jours du mois de décembre, avait écrit à ses parens un petit billet qui se terminait ainsi sans plus : j'ai changé et il signait Wolff. Madrés comme de vrais paysans, ceux-ci comprirent à demi-mot et répondirent au nom indiqué. Pour le coup, les Prussiens étaient déroutés. On le fit comparaître encore devant un conseil de guerre, on interrogea même ses camarades à plusieurs reprises : tous furent unanimes à reconnaître en lui le nommé Wolff de Colmar. Il fallut bien le relâcher, et il rentra dans les baraques.

Le temps marchait cependant ; l’armistice était signé, la guerre finie ; les prisonniers allaient revenir en France. N’ayant plus rien à craindre désormais, Hoff se donna le malin plaisir de laisser voir sur sa capote un petit bout de ruban rouge : les officiers allemands jetaient un coup d’œil de travers et passaient. Déjà les camps du nord étaient évacués. Hoff revit son frère cadet, qui, chasseur à pied dans l’armée de Metz, rentrait de Königsberg, où il avait été interné : il apprit de lui que leur vieux père vivait encore ; mais un troisième frère, soldat de Metz également, était tombé à Gravelotte. Les premiers troubles de Paris, la proclamation de la commune, le prétexte spécieux qu’en tirèrent les Prussiens pour arrêter tout à coup le rapatriement de nos prisonniers, tout cela prit un mois encore.