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Mais c’est au retour que l’état des voyageurs est le plus affreux. Dépouillés par les prêtres, dont la rapacité est proverbiale, ils plient sous une charge de nourriture sacrée, qu’ils rapportent chez eux, dans des linges souillés ou dans des pots de terre ; ils tiennent en outre une ombrelle en feuille de palmier et un faisceau de bâtons sous les coups desquels ils ont fait pénitence à la porte du Lion. Comme la fête du char coïncide avec le commencement des pluies, ils ont à traverser le réseau gonflé des rivières du Delta ; ceux même qui ont assez d’argent pour payer les bacs attendent parfois plusieurs jours sous la pluie qu’un bateau vienne les prendre. Un voyageur anglais a compté, près d’une simple rivière, plus de 40 cadavres corrompus et dévorés par les fourmis. Lorsque les pèlerins ont dépensé le peu d’argent qui leur reste, ils n’ont plus qu’à mourir. Quand ils traversent des villages, ils obstruent les rues et couchent à la pluie sans abri, sous des arbres, se berçant pendant la nuit d’un chant monotone et plaintif, attendant le jour pour continuer leur pénible voyage ; ceux qui ne peuvent se relever sont abandonnés et meurent sur la route. Chaque jour, la troupe laisse ainsi derrière elle quelques-uns des siens ; les plus heureux atteignent une station anglaise, où on les recueille dans des hôpitaux spéciaux. Quelquefois des bandes de voleurs enlèvent des femmes pour les revendre aux musulmans de l’ouest. Parmi celles qui parviennent à rentrer dans leurs foyers, la plupart ont contracté des maladies incurables, dont elles souffriront toute leur vie. On n’évalue pas à moins de 10,000 le nombre des victimes qui périssent ainsi chaque année, certaines évaluations le portent même à 50,000.

Le gouvernement n’est point resté impassible devant un pareil spectacle. Il n’essaya pas d’interdire les pèlerinages, car il eût violé les droits en vertu desquels il est maître de l’Inde, et méconnu la liberté religieuse de 150 millions de sujets britanniques ; mais en 1867 il cherchait à éclairer les classes intelligentes sur les dangers de ces pratiques. Le vice-roi envoya une circulaire aux officiers du Bengale ; malheureusement les réponses qu’il reçut ne laissèrent aucun espoir d’arriver à une suppression volontaire. Il ne restait plus d’autre moyen à employer qu’une surveillance sanitaire et l’établissement d’une quarantaine pour réduire autant que possible le nombre des victimes. Les mesures que l’on prend sont de trois espèces : elles ont pour objet de diminuer le nombre des pèlerins, d’amoindrir les dangers de la route, de prévenir les épidémies à Puri.

Lorsqu’une épidémie se manifeste, le gouvernement invite les fidèles, par des avis insérés dans les journaux indigènes, à remettre