Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/910

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du temple, elle consiste surtout dans du riz, et elle est présentée à Jagannath pour être sanctifiée avant d’être donnée aux fidèles ; quand elle attend vingt-quatre heures, elle fermente et devient très malsaine. Dans cet état de putréfaction, elle est abandonnée aux mendians, qui errent par centaines autour du sanctuaire.

La mauvaise alimentation n’est pas la seule cause des maladies. Puri est situé au bord de la mer, sur des sables marécageux ; les maisons sont construites sur des plates-formes de boue, au centre desquelles sont des égouts pour les ordures ; il s’en dégage, par des chaleurs de 40 ou 50 degrés, des émanations dont on n’a aucune idée dans les climats tempérés. Les maisons se composent de deux ou trois cellules, sans fenêtres ni ventilation d’aucune sorte, dans lesquelles les pèlerins sont entassés d’une façon révoltante pour l’humanité. Chacun d’eux n’a que la place strictement nécessaire pour se coucher, et quelquefois moins ; ils ne peuvent alors s’étendre qu’à tour de rôle. L’infection de ces maisons est incroyable, et les scènes qui s’y passent défient toute description. Aussi n’est-il pas étonnant que de pareilles cavernes deviennent des foyers d’épidémie cholérique. Le nombre des maisons est d’environ 6,000, et celui des pèlerins, qui est de 300,000 par an, est souvent de 90,000 à la fois, ce qui fait en moyenne 15 ou 18 personnes par maison.

Pendant la saison sèche, beaucoup de pèlerins couchent dans la rue, réunis par troupes, enveloppés de la tête aux pieds du vêtement de coton blanc qu’ils portent pendant le jour. La rosée du matin est, il est vrai, très pernicieuse, mais la possibilité de pouvoir passer la nuit en plein air est un moyen d’échapper à la rapacité des logeurs. Par contre, la fête du char, la plus grande de l’année, tombe au commencement de la saison des pluies. En quelques heures, les rues deviennent des torrens ou des mares qui tiennent en suspension les ordures accumulées pendant les chaleurs. les malheureux pèlerins sont alors forcés de rester enfermés dans les maisons, où le choléra vient invariablement exercer ses ravages, où les vivans et les malades restent couchés côte à côté sur un plancher de boue et sous un toit de feuilles. Si misérable que soit aujourd’hui le sort des pèlerins, il l’était bien plus encore avant que le gouvernement n’eût pris certaines mesures de police pour améliorer leur situation. Il y a des descriptions des rues de Puri, datant d’un certain nombre d’années, qu’on ne peut lire sans frissonner. Les champs autour de la ville étaient couverts de cadavres dévorés par les vautours et par les chiens sauvages ; dans les rues, des milliers de corps de femmes presque nus étaient entraînés par les pluies ; d’autres, collées contre les murs des maisons, attendaient sans se plaindre leur dernier moment.