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trouvent dans ce voyage à travers des pays étranges une distraction à leur vie monotone ; les femmes stériles sont mues par le désir de manger le fruit du banyan sacré, qui donne la fécondité. Une agitation générale se produit donc dans le village à l’arrivée de l’étranger, et les femmes frappent de leur tête les barreaux de leurs âges. Les hommes sont moins faciles à persuader, et n’entrent guère que pour l/10e dans le chiffre total des pèlerins.

La première partie du voyage est assez agréable, la nouveauté du paysage, des races, des langages et des coutumes intéresse les voyageurs. Beaucoup d’entre eux se servent du chemin de fer pendant une partie du trajet, les pèlerins du nord font ainsi 1,000 ou 1,400 milles ; mais en général il reste de 300 à 600 milles à parcourir à pied, et longtemps avant d’avoir atteint le but leur force est épuisée. Les vigoureuses femmes de l’Hindoustan chantent jusqu’à ce qu’elles tombent ; celles du Bengale se traînent piteusement en poussant d’un moment à l’autre un sanglot. Le guide les encourage à faire chaque jour leur étape, afin d’arriver à temps pour les fêtes. Beaucoup néanmoins restent en route, les autres n’atteignent le but qu’estropiées, les pieds sanglans et enveloppés de chiffons.

A la vue de la cité sainte, tout est oublié. Les pèlerins se précipitent en criant sur le vieux pont construit par les Mahrattes, et se jettent avec transport dans les eaux sacrées du lac. A chaque instant, ce sont pour eux de nouveaux spectacles. En passant à la porte du Lion, un homme de la caste des balayeurs les frappe de son balai pour leur enlever leurs péchés, et les force de promettre, sous peine de perdre tout le bénéfice du voyage, de ne raconter ni les événemens de la route, ni les secrets du sanctuaire. Dans les premiers jours de l’excitation, rien ne peut arrêter la libéralité des pèlerins envers leur guide ; mais bientôt en songeant au retour leur munificence se ralentit, et les attentions dont ils sont l’objet diminuent en proportion. Chaque jour, ils se baignent dans un des lacs sacrés, construits artificiellement avec des murs en maçonnerie ; l’un d’eux peut contenir jusqu’à 5,000 baigneurs, et les bords sont couverts de personnes qui attendent leur tour d’y entrer. Au centre du lieu consacré est un vieux banyan, la demeure d’une ancienne divinité forestière, que les pèlerins se rendent favorable en plaçant des fleurs rouges dans les crevasses du tronc. Un autre lieu visité par eux est la porte du ciel ; c’est là que les Indiens des basses classes enterrent leurs morts et que les autres les brûlent.

La maladie et la mort font des ravages épouvantables parmi les voyageurs. Pendant leur séjour à Puri, ils sont mal logés et mal nourris. La nourriture est exclusivement préparée dans les cuisines