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la contrée. Les rivières étant plus élevées que les plaines, les eaux ne peuvent plus rentrer dans leur lit, et couvrent les champs longtemps encore après que les rivières ont repris leur niveau ; elles restent stagnantes, formant des marais, noyant les récoltes, empoisonnant l’air de miasmes délétères jusqu’à ce que le soleil les ait évaporées, ou qu’elles aient trouvé vers la mer un écoulement accidentel.

En 1866, la province d’Orissa sortait à peine de la terrible famine de 1865-66 ; le peuple avait épuisé ses derniers approvisionnemens, et voyait dans la récolte future un espoir de salut, quand tout à coup les rivières fondirent sur le pays et inondèrent les plaines voisines. Dans les trois districts d’Orissa, 2,700 kilomètres carrés ont été submergés pendant une durée de trente et parfois de soixante jours. L’eau n’avait pas moins de 1 mètre de profondeur, et sur beaucoup de points elle en atteignait cinq. Une population de 1,308,000 individus, fut subitement chassée de ses demeures et isolée au milieu d’un océan furieux. Des milliers de personnes cherchaient leur salut dans des canots, sur des radeaux de bambous, sur des troncs d’arbres ou sur des meules de riz qui menaçaient de s’écrouler. Personne cependant ne fut noyé dans le premier moment de l’envahissement des eaux, car les malheureux habitans, sachant par expérience ce qui les attend, sont toujours préparés à ce malheur ; dans beaucoup de villages, des bateaux sont attachés aux maisons, et les toits es bambous sont très élevés et disposés de façon à pouvoir servir de refuges. Les banyans avaient des grappes d’êtres humains dans leurs branches, où venaient aussi se réfugier les serpens, les fourmis, les lézards et tous les autres petits animaux de la création, qui couvrirent les plus faibles rameaux jusqu’à ce que la famine les eût fait disparaître successivement. Le bétail souffrit beaucoup, les moutons et les chèvres furent emportés par troupeaux, et leurs cadavres flottaient couverts de vautours qui se disputaient cette proie ; Le spectacle le plus triste était celui des animaux de labour, qui, appuyés sur des arbres, se tenaient debout sur leurs jambes de derrière, et rejetaient l’eau par leurs narines jusqu’à ce qu’ils tombassent épuisés dans le gouffre.

Telle fut l’inondation de 1866, qui n’eut d’exceptionnel qu’une durée plus longue et les calamités qui en furent la suite. Après l’écoulement des eaux, les survivans se retrouvèrent au milieu d’une région désolée, couverte d’une boue fétide et de moissons pourries. Les récoltes pour une valeur de 77 millions de francs furent détruite. Une famine d’autant plus épouvantable que l’inondation avait succédé à la sécheresse lui fut la conséquence, et le quart de la population d’Orissa mourut de faim dans tout le Bengale, le