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rapport d’action, de coopération, de finalité ; la connexion est un rapport tout physique, tout mécanique, de position, d’engrenage en quelque sorte. Dans une machine, les parties les plus éloignées peuvent être en corrélation ; tes seules qui s’avoisinent sont en connexion. La connexion n’explique pas la corrélation, et ne peut pas la remplacer ; en d’autres termes, la contiguïté des parties ne rend pas compte du consensus dans l’être vivant. L’organisme reste toujours, comme le définissaient Kant et Cuvier, « un tout dont toutes les parties sont réciproquement but et moyens[1], » d’où il suit que l’organisme est essentiellement et en soi l’idée d’une finalité. Et cette coordination des parties au tout se retrouve, non pas seulement dans le tout en général, mais dans chaque partie considérée isolément, car les parties elles-mêmes sont des touts secondaires coordonnés au tout principal. Ainsi les organes du mouvement sont en rapport avec les organes de nutrition ; mais en outre, dans les organes du mouvement, les muscles, les nerfs et les os sont également en rapport, et ainsi jusqu’aux derniers élémens de l’organisme ; ce qui a fait dire à Leibniz que les êtres organisés sont des machines composées de machines. Pour ma part, je ne puis comprendre cette coordination que si le tout a préexisté sous forme de plan, et a prédéterminé les parties. Autrement, ces parties, qui ne sont après tout que de la matière minérale, se seraient donc combinées et entendues de manière à produire des systèmes si savamment disposés que c’est à peine si l’art humain peut les imiter, et même qu’il est des cas où il ne le peut pas (par exemple le vol des oiseaux) : c’est là ce que l’esprit humain n’a jamais consenti et ne consentira jamais à admettre. Par exemple, que la matière, obéissant à ses lois primordiales, produise des dents tranchantes, c’est ce que je comprends sans trop d’efforts ; mais que la même matière, dans le même être, produise des griffes et non des sabots, c’est ce qu’on comprendra difficilement, si l’on n’accorde que les griffes et les dents ont une harmonie préétablie, qui est d’une part la préhension, de l’autre le déchirement de la proie, — et si l’on ajoute que toutes les autres parties sont également coordonnées, comme nous l’apprend Cuvier, nous en conclurons qu’elles doivent être préordormées, et il sera permis de dire que la nature agit, dans ce cas, exactement comme si elle avait voulu faire un animal Carnivore.

La suite des idées nous aurait amenés ici à examiner la théorie

  1. Cela n’implique pas du tout, comme le suppose M. Robin, que chaque partie ne puisse pas avoir une vie propre, indépendante du tout ; mais cela signifie qu’aussitôt qu’elle est engagée dans le système elle vit par le tout, et elle contribue à faire vivre le tout.