Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/89

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terribles ; il arrivait par là des feux de file auxquels on ne pouvait répondre et qui faisaient bien du mal. Quand un homme était tombé, avec leurs sabres-baïonnettes ses camarades lui creusaient une fosse et l’enterraient au même endroit. Au retour, Hoff faisait son rapport, donnait le nom de l’homme mort, un autre prenait sa place, et tout était dit. Parmi les survivans, nul qui s’effrayât pour si peu ; tout au contraire leur ardeur et leur rage en étaient accrues. Plus d’une fois Hoff fut forcé de les retenir, ils se seraient acharnés sur les cadavres. N’est-ce point ainsi que les peuples sauvages attestent leur victoire ? Il faut bien le dire, et notre orgueil n’y peut rien : chez les Peaux-Rouges ou au Mexique, au fond des montagnes de la Kabylie ou sur les bords de la Seine, cette guerre est partout la même ; à des périls incessans, dans une lutte toute de ruse et d’astuce, le sang s’échauffe, la tête se perd, les instincts féroces se réveillent, et sous l’homme civilisé bien vite a reparu l’homme sauvage.

S’exposant plus que personne, tandis que ses camarades l’un après l’autre tombaient à ses côtés, Hoff aussi plus de mille fois avait failli périr. Lorsqu’il était allé trouver le ministre de la guerre, il avait dû remplacer son képi, percé en quatorze endroits ; son pantalon, sa capote, étaient littéralement criblés, mais, par un bonheur étrange, jamais il n’avait été lui-même sérieusement atteint. Près de la route de Strasbourg, il reçut une fois une balle au mollet droit, et, comme il était alors en expédition, pour ne pas revenir sur ses pas, il la garda deux jours entiers dans les chairs ; elle lui fut enlevée par un chirurgien de mobiles. Une autre fois, serré de près par deux uhlans, en sautant un fossé plein d’eau et large au moins de quatre mètres, il se donna un effort. Il n’en continua pas moins à marcher : ni la maladie, ni la souffrance ne semblaient avoir prise sur lui. Le 2 décembre enfin, à Villiers, il recevait au bras gauche un coup de baïonnette également sans gravité.

Nous touchons à l’époque où, sans que personne pût dire ce qu’il était devenu, Hoff disparut soudain, disparition qui devait prêter dans Paris à de si étranges suppositions. Depuis quelques jours déjà, on préparait une grande sortie du côté de la Marne. Le sergent fut rappelé à son corps, il prit part ainsi sur la gauche aux deux jours de bataille de Champigny, et c’est en combattant dans les rangs qu’il fut fait prisonnier. Comme je m’étonnais devant lui qu’étant donné son caractère il eût consenti à se rendre : « Cela vous surprend, me répondit-il. Ah ! parbleu ! j’en ai été bien plus étonné moi-même, car j’avais d’avance mes idées fixées là-dessus. Que voulez-vous ? on ne fait pas toujours ce qu’on s’est promis. Enfin je vais vous dire la chose comme elle m’est arrivée.