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élémens doués de telles propriétés, ce n’est nullement démontrer que ces machines ne sont pas l’œuvre d’une industrie ou d’un art dirigés vers un but, car cette industrie (réfléchie, ou non) ne peut en toute hypothèse construire des machines qu’en se servant d’élémens dont les propriétés sont telles qu’en se combinant ils produisent les effets voulus. Les causes finales ne sont pas des miracles, ce ne sont pas des effets sans causes. Il n’est donc pas étonnant qu’en remontant des organes à leurs élémens on trouve les propriétés primordiales dont la combinaison ou la distribution produit ces effets complexes que l’on appelle des fonctions animales. L’art le plus subtil et le plus savant, fût-ce l’art divin, ne produira jamais un tout qu’en employant des élémens doués des propriétés qui rendent possible ce tout. Le problème, pour le penseur, est d’expliquer comment ces élémens ont pu se coordonner et se distribuer de manière à produire ces résultantes finales que nous appelons une plante, un animal, un homme.

Puisque nous maintenons comme légitime la vieille comparaison aristotélique entre l’art et la nature, faisons voir sur un exemple, emprunté à l’industrie humaine, comment la méthode physiologique des élémens vitaux n’exclut nullement l’hypothèse de la finalité. Soit un instrument de musique dont nous ne connaîtrions pas l’usage, et sans que rien nous avertît que c’est l’œuvre de l’art humain ; si quelqu’un, dans cette ignorance de la vraie cause, venait cependant à supposer que c’est une machine disposée pour servir à l’art du musicien, ne pourrait-on pas lui dire que c’est là une explication superficielle et toute populaire, que peu importe la forme et l’usage de cet instrument, que l’analyse, en le réduisant à ses élémens anatomiques, n’y voit autre chose qu’un ensemble de cordes, de bois, d’ivoire, que chacun de ces élémens a des propriétés essentielles immanentes : les cordes, par exemple, ont celle de vibrer, et cela dans leurs plus petites parties (leurs cellules) ; le bois a la propriété de résonner, les touches en mouvement ont la propriété de frapper et de déterminer les sons par la percussion, etc. Qu’y a-t-il d’étonnant, dirait-on, à ce que cette machine produise tel effet, par exemple fasse entendre une succession de sons harmoniques, puisqu’en définitive les élémens qui la composent ont les propriétés nécessaires pour produire cet effet ? Quant à la combinaison de ces élémens, il faut l’attribuer à des circonstances heureuses qui ont amené cette résultante si analogue à une œuvre préconçue. Qui ne voit qu’en ramenant ce tout complexe à ses élémens et à leurs propriétés essentielles on n’aurait rien démontré contre la finalité de l’instrument, puisqu’elle y réside en effet, et qu’elle exige précisément, pour que le tout soit