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l’enchaînement de ces moyens matériels suivant les lois de la coexistence ou.de la succession. L’expérimentation aidée du calcul ne peut rien faire de plus, et tout ce qui va au-delà n’est plus science positive, mais philosophie, pensée, réflexion, choses toutes différentes. Sans doute, la pensée philosophique se mêle toujours plus ou moins à la science, surtout dans l’ordre des êtres organisés ; mais la science essaie avec raison de s’en dégager pour ramener le problème à des rapports susceptibles d’être déterminés par l’expérience. Il ne résulte pas de là que la pensée doive s’abstenir de rechercher le sens des choses complexes qui sont devant nos yeux, et si elle y retrouve quelque chose d’analogue à elle-même, elle ne doit pas s’interdire de le reconnaître et de le proclamer, parce que la science, dans sa sévérité rigoureuse et légitime, se refuse à elle-même de telles considérations.

Cherchez en effet un moyen de soumettre à l’expérience et au calcul (seuls procédés rigoureux de la science) la pensée de l’univers., dans le cas où une telle pensée y présiderait. Quand l’intelligence a pour se manifester des signes analogues aux nôtres, elle peut se faire reconnaître par de tels signes ; mais une œuvre d’art, qui par elle-même n’est pas intelligente, et qui n’est que l’œuvre d’une intelligence (ou de quelque chose d’analogue), cette œuvre d’art n’a aucun signe, aucune parole pour nous avertir qu’elle est une œuvre d’art et non la simple résultante de causes complexes et aveugles. Un homme parle, et nous avons par là des moyens de savoir que c’est un homme ; mais un automate ne parle pas, et ce n’est que par analogie, par comparaison, par interprétation inductive, que nous pouvons savoir que cet automate n’est pas un jeu de la nature. Ainsi en est-il des œuvres naturelles : fussent-elles l’œuvre d’une pensée prévoyante, ou, si l’on veut, d’un art latent et occulte, analogue à l’instinct, ces œuvres de la nature n’ont aucun moyen de nous faire savoir qu’elles sont des œuvres d’art, et ce ne peut être que par comparaison avec les nôtres que nous en jugeons ainsi. La pensée dans l’univers, en supposant qu’elle se manifestât d’une manière quelconque, ne pourrait donc jamais être reconnue autrement que de la manière où nous prétendons y arriver, c’est-à-dire par l’induction analogique, jamais elle ne sera objet d’expérience et de calcul : par conséquent la science pourra toujours en faire abstraction, si elle le veut ; mais, parce qu’elle en aura fait abstraction et qu’au lieu de chercher la signification rationnelle des choses elle se sera contentée d’en montrer l’enchaînement physique, peut-elle croire, sans une illusion inexplicable, qu’elle a écarté et réfuté toute supposition téléologique ? Montrer, comme elle le fait, que ces machines apparentes se réduisent à des