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-chapper par les jardins, laissant les billes sur le tapis. Dans l’église où ils avaient établi un poste de cavalerie, l’autel était souillé, les vitraux brisés, des vêtemens sacerdotaux mis en pièces étaient épars sur le sol. La première pensée du sergent fut de courir à la cloche et de sonner le tocsin pour épouvanter les fuyards ; la corde ne se trouva plus. Hoff prit aussitôt toutes les mesures nécessaires : deux hommes, par son ordre, grimpèrent dans le clocher, en observation, d’autres allèrent surveiller la route, du côté de la Ville-Évrard ; le reste se répandit un peu partout, aux endroits les plus exposés.

Rien n’était fini en effet : vers la gauche, à l’abri d’un rideau d’arbres d’où l’on ne pouvait guère les déloger, les Prussiens avaient leurs réserves. Hoff s’attendait à être attaqué ; il le fut, et par des forces telles que toute résistance devenait impossible. Les nôtres, à leur tour, durent se replier en hâte, il fallut même abandonner les deux hommes qui occupaient le clocher ; c’étaient un simple soldat et un caporal, du nom de Chanroy, souffreteux et débile, du moins en apparence, mais d’un courage à toute épreuve. Par bonheur pour eux, personne ne songea sur l’heure à visiter le clocher ; mais leur situation n’en était pas moins critique. Du haut de la poutre où ils se tenaient accroupis, ils avaient vue sur le poste ; les cavaliers, rentrés dans l’église, passaient et repassaient sous leurs pieds. Un mot, un accès de toux, quelque plâtras se détachant pouvait les perdre ; au moindre bruit, l’ennemi montait. Une seule consolation leur restait alors : lutter sans merci, à outrance, jusqu’à la dernière cartouche, et dans l’étroit escalier de la tour vendre chèrement leur vie. Hoff cependant ne les oubliait pas ; sans perdre de temps, il a fait demander du renfort au village le plus voisin. Des francs-tireurs s’y trouvaient, — francs-tireurs de la Presse, — qui lui envoient une trentaine d’hommes et un lieutenant ; le sergent commandera seul comme de raison. Ainsi renforcée, par le même chemin, la petite troupe se remet en marche ; mais il a fallu attendre la nuit. Que sont devenus Chanroy et son camarade ? Auront-ils pu rester cachés si longtemps ? Hoff le premier bondit en avant, une seconde fois les Prussiens surpris se sauvent presque sans combattre. Au pas de charge, on enfile la Grande-Rue, on arrive sur la place ; en ce moment, contre toute attente, les deux hommes sortaient de l’église, mais pâles, les traits creusés, méconnaissables, à peine avaient-ils la force de tenir leurs fusils. Ils avaient passé là quarante-huit heures dans cette tour ouverte à tous les vents, transis de froid, serrés au mur, n’osant ni broncher ni parler, sans autre nourriture qu’un biscuit chacun ; ils chancelaient comme des hommes ivres. Ils essayèrent de manger, mais ne purent ; l’épreuve