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bien du monde et donnerait un coup de fouet salutaire à plus d’une ambition ; mais ce serait à cette condition expresse, que toute politique serait absolument bannie du cours sous peine d’interdiction immédiate, car elle n’a rien à y faire, et ne peut qu’y créer des dangers sans compensation.

La politique a eu également sur le recrutement des professeurs une influence prépondérante ; la gloire de M. Cousin et de M. Guizot, la fortune parlementaire de M. Royer-Collard et de M. Villemain, étaient faites pour tenter bien des hommes qui, parce qu’ils ont eu quelques prix au grand concours et qu’ils ont passé trois ans à l’École normale, se croient volontiers aptes et destinés à gouverner le monde. Cette idée n’a rien d’excessif chez des jeunes gens qui par les succès qu’ils ont obtenus ont prouvé une supériorité sérieuse sur leurs condisciples, et elle est naturelle en France, où, tout en reconnaissant qu’il faut un apprentissage pour être maçon ou cordonnier, on admet qu’il n’est besoin d’aucune éducation préalable pour être un homme politique. Une telle ambition, qui n’a rien que de légitime, éloigne de la carrière pédagogique ceux qui auraient pu y rendre des services signalés. Tout ce qui se sentait ou se croyait une valeur quelconque, tout ce qui se trouvait mal à l’aise dans les liens étroits de la direction administrative se jeta dans le journalisme, dans la politique militante, et l’enseignement ne garda que les esprits les moins aventureux. Nous y avons gagné des écrivains de talent, des polémistes remarquables, et en lisant leurs œuvres la jeunesse regrette peut-être de n’avoir pas été dirigée par eux. Ceux qui ont résisté aux tentations de cette sorte sont entrés dans la route tracée ; ils s’y sont engagés avec résignation, cherchant dans le culte des lettres, dans les joies intimes et profondes qu’on y trouve, une compensation au désagréable métier, ingrat entre tous et mal rétribué, qu’ils sont obligés de faire, à moins que, pris de dégoût à leur tour pour une carrière qui a toutes les déceptions, ils n’aient ouvert sur une place fréquentée une boutique où l’on débite des boîtes de croquets, ornées d’une étiquette où l’on peut lire : X…, ancien élève de l’École normale supérieure, section des sciences.

Les cours du Collège de France ne conduisent à rien celui qui les écoute. Entre qui veut ; il n’y a point d’inscriptions préalables, et, comme ces cours ne servent à l’obtention d’aucun diplôme, ils sont fort peu suivis par la jeunesse studieuse ; les auditeurs sont en général des oisifs, quelques femmes, quelques rares personnes ayant conservé le goût des choses de l’esprit. On y a remarqué un fait déjà observé pour les bibliothèques publiques : quand il fait mauvais temps, l’auditoire est plus nombreux, car les passans sont venus se