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donnaient rendez-vous pour applaudir ou pour siffler, et bien souvent, — je l’ai vu jadis, — pour échanger des injures qui le lendemain amenaient des rencontres meurtrières. Les gouvernemens, qui après tout sont dans leur droit de légitime défense en ne voulant pas se laisser renverser, ont réagi avec excès en sens contraire. Bien des hommes de haut mérite, dont la place était indiquée, n’ont point été appelés à l’enseignement supérieur parce que l’on se méfiait d’eux. Tout individu suspect, quelle que fût du reste sa capacité personnelle, se vit éloigné des cours. Les élèves ou, pour mieux dire, les auditeurs ont regimbé, et ils ont sifflé a priori des professeurs de la valeur de Sainte-Beuve ; la jeunesse ne voulait accepter que les adversaires du pouvoir, et le pouvoir se refusait à les admettre. On a pris un moyen terme, qui n’a satisfait personne et dont l’enseignement surtout a pâti : on a choisi des hommes neutres, effacés, qui n’inspiraient ni crainte aux uns, ni enthousiasme aux autres. L’indifférence générale leur a répondu. Le dernier effort libéral de la part du gouvernement a été fait en faveur de M. Renan, qu’il y avait un certain courage à installer dans une chaire du Collège de France. Une phrase anodine en elle-même, mais hétérodoxe en son essence, commentée, grossie, amplifiée outre mesure, souleva l’exaspération de tout le parti religieux. Le professeur de langue hébraïque paya pour l’auteur de la Vie de Jésus : il avait fait une maladresse inutile, on commit un abus de pouvoir peu généreux ; personne n’y a gagné, et les auditeurs studieux ont perdu un cours qui eût été très remarquable et très intéressant.

Pour éviter qu’on ne leur imposât des professeurs dont les doctrines leur eussent été hostiles, les gouvernemens ont renoncé à la voie des concours et se sont réservé le droit de nommer péremptoirement aux chaires vacantes, de sorte que les candidats à ces hautes fonctions de l’enseignement ont plutôt cherché, pour parvenir à leur but, à se créer des relations influentes qu’à augmenter la somme de leur savoir, et cela n’a pas peu contribué à empêcher les hautes études de s’élever au-dessus d’une moyenne insuffisante. Cependant, si le concours est mauvais et périlleux pour l’enseignement secondaire, qui avant tout doit façonner la masse des écoliers, il est excellent lorsqu’il s’agit de déterminer une sélection parmi les chefs de l’enseignement supérieur, car il force au travail, il donne par la publicité du débat une émulation très vive, et il arrive à ce résultat inappréciable de faire surgir les individualités : aussi je crois que l’on fera bien d’y revenir. La Sorbonne, le Collège de France, les facultés en général sont affaissées et comme somnolentes ; le rétablissement du concours pour les chaires réveillerait