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sérieux mérite, professeurs en Sorbonne, membres de l’Institut, perdre un temps précieux, qu’ils emploieraient si bien ailleurs, à interroger des enfans ahuris qui semblent même ne pas savoir ce qu’on leur demande. Dans cette petite salle si humble, si terne, j’ai vu défiler ces jeunes gens « qui ont, dit-on, fini leurs études, » et qui semblaient ne pas les avoir commencées. Les matières de l’examen ne sont pas bien compliquées cependant : quelques fragmens de latin et de grec, quelques auteurs français, qui sont toujours Corneille, Boileau, Racine, La Fontaine et Molière, un peu de philosophie, quelques mots d’histoire et de géographie, des mathématiques, assez pour prouver qu’on sait compter. L’histoire est limitée à celle de la France et ne commence qu’à Louis XIV, de sorte que, si l’on demande à l’un de ces enfans quel est le roi qui eut l’honneur d’avoir Sully pour ministre, il peut refuser de répondre, car la question est en dehors du programme fixé par un règlement.

J’ai vu le doyen des lettres françaises, un vieillard dont la vie entière a été consacrée au travail et qui retrouve chaque jour une vigueur nouvelle dans le culte des grandes choses de l’esprit, faire des efforts inimaginables, multiplier les questions, aider les candidats, les encourager, les « souffler » lui-même, sans réussir à tirer d’eux une réponse passable. J’ai appris là, dans la même journée, bien des choses que j’ignorais, par exemple que, dans la conquête de la toison d’or, Jason fut aidé par Andromède, qu’Amphitryon est une pièce de Racine, et que le Lutrin est une comédie de La Fontaine ; je sais maintenant que le vers de l’Art poétique d’Horace, ne… vertatur Cadmus in anguem, signifie que Cadmus ne doit pas être changé en poisson !

Faut-il plaindre ou blâmer ces jeunes gens ? Il faut les excuser, car ils apportent là le fruit des méthodes d’enseignement qui les ont fatigués sans les instruire. On les reçoit néanmoins malgré leur médiocrité en toutes choses et leur flagrante ignorance, d’abord parce que l’examen de bachelier ès-lettres n’est qu’une simple formalité qui équivaut à un certificat d’études, et qui n’ouvre la porte d’aucune carrière, — ensuite parce qu’aujourd’hui la loi militaire. les talonne, que le régiment va les prendre, les éloigner de tout travail intellectuel, qu’ils sont arrivés à la limite d’âge fixée pour les débuts du service, qu’il faut leur assurer le bénéfice du volontariat d’un an, et qu’en présence de ces motifs, qui se fortifient l’un par l’autre, les examinateurs ont une indulgence excessive.

Il me semble que cet examen de bachelier ès-lettres, qui met fin à l’enseignement secondaire, est bien mal combiné ; il n’est pas à détruire, il est à modifier. Tout le monde paraît d’accord aujourd’hui pour reconnaître que, si l’étude des langues mortes, — des