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laïque se disent volontiers libres penseurs. La liberté est une ; on fait acte de libre pensée en croyant à une religion quelconque tout aussi bien qu’en ne croyant à rien du tout. On semble n’avoir jamais compris en France que la liberté est le droit qui appartient à chacun de se conduire selon ses inspirations intimes en se conformant aux lois. Décréter un enseignement spécialement laïque ou spécialement religieux, c’est commettre un attentat contre la liberté de conscience, la plus précieuse de toutes, car c’est elle qui forge l’homme pour le grand combat de la vie.


II. — L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE.

L’enseignement secondaire ressemble en ce moment à certains malades : il subit une crise ; il en sortira vivifié, nous l’espérons. Si l’enseignement primaire est destiné à développer l’enfant, le but de l’enseignement secondaire est de former l’homme ; on peut reconnaître, sans être pessimiste, qu’il remplit fort mal sa tâche depuis longtemps déjà. Souvent on a essayé d’y introduire des modifications importantes ; il faut croire que l’on a fait fausse route, car les tentatives n’ont abouti à rien. Ce qui pèse sur l’enseignement secondaire, c’est un système, une tradition si lourde, qui paraît si imposante qu’elle neutralise tous les efforts. En effet, si dans ce siècle-ci on a pu créer l’enseignement primaire, qui n’existait réellement pas, on a reçu du passé une méthode d’enseignement secondaire qui avait fait merveille, qui a été aveuglément suivie, et qui est absolument insuffisante aujourd’hui.

Lorsque de 1806 à 1808 Napoléon reconstitua l’université, il n’y avait plus de corps enseignant en France ; les ordres religieux scolaires, détruits et dispersés par la révolution, n’avaient point été relevés ; on avait ouvert par-ci par-là de médiocres pensions libres où l’on apprenait quelques bribes de latin et de français. On se souvint alors que les pères jésuites avaient eu de grands succès dans l’enseignement pendant le XVIIIe siècle, et que tout ce qui avait eu une valeur quelconque était sorti de leurs mains. En effet, ils avaient excellé à faire ce qu’on appelait des sujets brillans, fils de la noblesse, de la finance, de la robe, de la bourgeoisie enrichie, qui, devant entrer fort jeunes dans le monde et parler de tout sans dire trop de sottises, effleuraient la surface des choses et n’approfondissaient rien. C’est aux jésuites qu’on doit les résumés, les conciones, les excerpta, les selectœ, qu’il suffit d’avoir lJus attentivement pour avoir l’air de savoir quelque chose : méthode tirès facile, mais décevante au premier chef, car elle est tout extérieure.